𝟑𝟒 - 𝐀𝐩𝐫𝐞𝐬 𝐥𝐚 𝐭𝐞𝐦𝐩𝐞𝐭𝐞.

8.3K 762 194
                                    


𝐄𝐥𝐥𝐲.

Il n'était pas question que je passe le reste de la nuit allongée dans un lit médicalisé aussi étroit que certains esprits sont étriqués, à me demander combien de femmes abusées ont dû y supporter la lenteur du temps avant moi. Une fois mes derniers résultats d'examen arrivés et le diagnostic de la légère commotion cérébrale confirmé, j'ai écouté les recommandations de la médecin « à appliquer au pied de la lettre », afin de diminuer mes symptômes. Nausées, migraines, étourdissements, troubles du sommeil, douleurs du rachis cervical, nervosité ou encore photosensibilité, se sont alliés pour me tenir compagnie les jours à venir, ensemble ou à tour de rôle. J'ai hésité à ironiser, à lui dire que la moitié de ses maux m'accompagnent déjà depuis des semaines, mais choisis de jouer la sécurité pour qu'elle me signe mon bon de sortie. Autant m'épargner de lui exposer à quel point ma vie n'a rien d'un conte de fées, que ma poisse m'a poursuivie de Seattle à New York City.

Je me suis ensuite empressée de rassembler mes quelques affaires, comme si ma survie dépendait de ma rapidité à fuir les lieux.

Mélia a bien tenté de me convaincre de rester sous surveillance pour quelques heures supplémentaires, mais je ne m'en sentais pas capable, même lorsqu'elle m'a juré ne pas avoir l'intention de me quitter d'une semelle. L'air était irrespirable, saturé de désinfectant inefficace contre ma pollution interne. J'ai refusé de m'enterrer vivante sous le poids d'une atmosphère étouffante.

Neve n'a pas eu à insister pour que j'accepte qu'elle me raccompagne chez elle. L'idée de rentrer au Penthouse sans Liam me filait le cafard. J'ai même douté de ma place dans ce duplex cossu que je ne peux pas appeler mon chez-moi. Je n'en ai plus depuis des semaines et ce soir, cette vérité m'a donné le sentiment de ne plus appartenir à nulle part.

Mes sombres questions existentielles se sont envolées lorsque j'ai réalisé que je ne suis pas en état d'en débattre. Après un passage à Tribeca pour récupérer des affaires propres, je me suis enfermée dans cette pièce sitôt arrivée.

Eau chaude.

Savon.

Éponge.

Enfin.

Je n'ai aucune notion du temps passé sous les jets poussés à puissance maximale, pourtant, à peine ai-je posé un orteil hors de la cabine de douche qu'une certitude m'étreint : je me sens encore incapable de quitter cette pièce. De me confronter à l'extérieur. De me retrouver de nouveau face à mes amies. Leurs regards désolés ont beau être teintés d'un indéniable soutien et dénués de pitié, leur peine ne fait que nourrir la mienne. Et puis, j'éprouve un sentiment étrange, inédit, paradoxal. Je me sens à la fois fautive de mon inaction sur ce toit et innocente pour n'avoir rien provoqué. Victime d'une perversion qui dépasse celle dont je me suis échappée et victime de mes propres dysfonctionnements.

Durant plusieurs années, j'ai été le pantin aveugle et sourd d'un plan malsain qui m'a délestée d'une infime part de ma dignité. On m'a livrée en pâture, manifestement pour nourrir un partenariat dont on s'est bien passé de me parler, jetée dans l'arène d'une société en laquelle je ne crois pas. Pourtant, à des millions de miles d'être l'homme idéal, et même s'il m'a dupée, trompée, presque épousée sans jamais m'avoir aimée avant de commettre l'ultime méfait – lever la main sur moi au lieu de tenter d'absoudre son péché en avouant la vérité –, Cooper a toujours respecté mes « non, pas ce soir ». Certes, notre intimité devait être le petit plus pour lui, pas simplement une corvée pour lustrer sa crédibilité d'homme amoureux, certes, il m'a trahie et salie mais jamais à ce point dépossédée.

Devious BOSS | Œuvre intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant