Partie 16

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- Emmy ?

Evan avait beau toquer ce matin-là, personne ne lui ouvrait. Après un moment d'hésitation, il se décida à entrer. Il repéra de suite le renflement que formait la couette sur le lit, trahissant celle qui se cachait dessous. Inquiet, il s'approcha et s'agenouilla près du lit.

- Est-ce que tu vas bien là-dessous ? 

Une petite main se fraya un chemin jusqu'à l'extérieur et lui fit signe de partir, avant de retourner se cacher avec le reste du corps. Evan, rassuré de voir que la jeune femme semblait aller bien, et ayant vu un morceau de manche indiquant qu'elle était dans une tenue convenable, se permit de soulever la couverture avec un sourire amusé.

- Qu'est-ce qui t'arrives à vouloir jouer à cache-cache d'un coup ? 

Il s'interrompit et perdit aussi bien son sourire que son entrain, pris d'un sentiment d'horreur. Bien qu'Emmy venait de cacher rapidement son visage dans son oreiller, il était presque certain d'avoir vu la cause de son étrange comportement. 

- Emmy montre-moi ton visage, ordonna-t-il en tentant de garder son calme malgré la panique qui l'envahissait.

Face au manque de réaction de la jeune femme, il la retourna d'un mouvement ferme, mais avec toute la douceur dont il était capable pour ne pas la braquer. Evan sentit une rage sourde l'envahir et bouillir en lui. Sa patiente refusait de le regarder et ses yeux semblaient examiner un point invisible loin derrière lui, comme honteuse du spectacle qu'elle lui offrait. En effet, sur son front et sa pommette, deux hématomes violacés contrastaient avec sa peau pâle, à peine cachés par la fine chevelure blonde, éparpillée sur son visage et l'oreiller. 

- Tu dois me dire qui t'as fait ça, d'accord ? Il faut que tu me dessines la personne qui t'as fait du mal.

À ces mots, elle le dévisagea quelques secondes sans rien dire avant de secouer négativement la tête. Comme pris d'une soudaine folie, Evan se précipita hors de la chambre, traversa la clinique et s'engouffra dans le bureau du directeur sans même prendre le temps de toquer. Par chance, il était seul. Mais c'était loin d'être le problème du psychiatre. M. June le regarda curieusement, avant d'adopter une posture défensive face à la fureur apparente de l'homme qui venait d'entrer. Alors qu'il ouvrait la bouche pour parler, Evan ne lui en laissa pas le temps :

- Est-ce que je peux savoir ce qui s'est passé ? demanda-t-il d'une voix glaciale.

- Comment ça, de quoi parlez-vous, répondit M. June avec méfiance.

- Est-ce que vous êtes sérieusement en train de me dire qu'une patiente de votre clinique s'est faite agressée et que vous n'en avez aucune idée ? Vous êtes conscient de la gravité de la situation n'est-ce pas ? Quelqu'un dans votre établissement lui a fait du mal, soit un patient que votre équipe n'a pas su gérer, ce qui fait d'eux des incompétents, soit quelqu'un de votre propre personnel, ce qui est bien plus grave. Mademoiselle Spark a d'immenses bleus sur le visage ! Vous trouvez ça normal ? Elle est tétanisée elle refuse de me montrer son agresseur !

Le directeur tenta de reprendre sa contenance face à la colère de son interlocuteur. Il réajusta ses petites lunettes rondes sur son nez et s'éclaircit la gorge.

- Monsieur Collins, un peu de tenue s'il-vous-plaît. Il n'y a eu aucune agression. Nous sommes dans une clinique, mademoiselle Spark a certains... problèmes mentalement. Nous le savons tous les deux. Il me semble évident qu'elle est elle-même la cause de ses propres blessures. Ce qui remet en question l'efficacité de votre travail, soit dit en passant. Au lieu d'être ici vous feriez peut-être mieux de l'accompagner et de faire votre métier, en vous assurant qu'il y ait des résultats.

Abasourdi suite au discours rocambolesque du directeur, la fureur était retombée d'un coup, remplacée par de la stupeur. Sans prononcer un seul mot, Evan quitta le bureau. De toute évidence, le directeur ne ferait rien. Même si le bonhomme l'avait cru, quel intérêt aurait-il à faire un scandale pour une jeune patiente qui ne pouvait pas parler et témoigner ? Qui n'en avait même pas envie d'ailleurs visiblement. Il était bien plus facile de mettre ses blessures sur le dos de ses "problèmes mentaux" comme il les avaient appelés avec tant de tact.

Lorsque Evan fut de retour dans la chambre d'Emmy, la colère s'était ravivée. Mais il tenta de rester le plus calme possible. Autant ne pas stresser la jeune femme, peut-être qu'elle finirait par lui avouer ce qui s'était passé. Toutes ces émotions lui ayant donné chaud, il ouvrit la fenêtre en grand et retroussa les manches de sa chemises.

Sa patiente l'observait avec appréhension assise sur le bord de son matelas. Les marques violacées sur son visage lui brisaient le cœur. Qui donc avait bien pu lui faire du mal ? Il s'installa à côté d'elle sur le lit et posa une main réconfortante sur son épaule. 

- S'il-te-plaît, dis-moi ce qui s'est passé. Je voudrais simplement comprendre d'accord ?

Sa voix avait retrouvé le ton calme et posé qu'il prenait habituellement en sa présence. La colère avait cédé la place à l'amertume et l'inquiétude.

Après quelques secondes d'hésitation, Emmy lui fit signe de garder le secret, et le dévisagea intensément pour obtenir son accord. Evan pouvait difficilement se plier à cette exigence, mais il ne voulait pas lui mentir. Malgré tout, peut-être que, pour cette fois, son intégrité physique nécessitait cette petite trahison. Qui sait si elle ne courait pas un danger plus grave encore ? À contrecœur, il accepta cette promesse en sachant qu'il ne pourrait sans doute pas la tenir.

La jeune femme se munit alors d'un papier et d'un stylo et se mit à la tâche. Non sans surprise, Evan constata rapidement qu'elle ne dessinait pas, cette fois-ci. Sous sa mine, apparut d'abord la lettre "P". Emmy écrivait en lettres capitales. "A". Elle semblait si concentrée que pendant un instant, le psychiatre se demanda si c'était la première fois depuis son arrivée ici qu'elle s'adonnait à l'écriture. "P". Avait-elle une bonne raison de ne pas y avoir eu recours jusqu'ici ? Un manque de confiance en lui, peut-être, l'avait empêchée de communiquer par écrit. "A". 

Absorbé par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux, Evan ne réalisa pas avant quelques secondes la portée du mot qui s'étalait sur le papier. La réalité était bien plus grave qu'il ne l'avait imaginée. L'agresseur de sa patiente était non seulement son propre père, un homme qui avait visiblement de l'influence sur elle, mais il était en plus capable de s'introduire dans la clinique en échappant à la vigilance du personnel.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant