Evan avait l'impression d'être au bord du malaise. Plus il lisait d'articles et posait de questions à Emmy, plus son état s'aggravait. Il avait interrogé sa patiente, parfois plusieurs fois sur les mêmes choses afin d'être bien sûr de savoir ce qu'il apprenait. Comme il se sentait stupide d'avoir pensé à de la simple maltraitance infantile. Mais d'un autre côté, comment aurait-il pu deviné toute l'horreur de la situation ?
La mère d'Emmy, encore adolescente, avait été kidnappée et n'avait jamais été retrouvée. Son père n'était pas seulement violent, il avait séquestré cette femme, et il avait été activement recherché par la police lorsqu'un incendie ayant ravagé son domicile avait révélé le corps de la disparue calciné dans la cave, une dizaine d'années après son enlèvement. Sa photo tournait en boucle aux informations lorsque Evan venait tout juste d'entrer au lycée.
Il avait appris toutes ces informations grâce aux articles en ligne. Pour le reste, il s'agissait de déduction et de ce que sa patiente avait pu lui confirmer. Car des conclusions, il avait pu en tirer. Un bon nombre de choses devenaient d'un seul coup plus claires. L'absence totale de traces de l'existence d'Emmy avant ses huit ans ? Tout simplement parce qu'elle était l'enfant du viol d'un malade mental sur sa prisonnière. La naïveté et l'innocence parfois étranges de sa patiente ? Parce qu'elle ne savait rien de la vie. Elle n'avait pas quitté cette cave où elle était enfermée avec sa mère avant que l'incendie ne lui permette de s'échapper. Puis elle avait été placée en orphelinat, et rapidement en clinique après ça. Que savait-elle du monde hors des murs qui entouraient ce bâtiment ? Evan ne voulait même pas connaître la réponse.
Le pire dans toute cette affaire, c'est qu'elle n'avait pas conscience de l'anormalité de sa situation. Elle avait grandi dans un foyer (du moins si on peut l'appeler ainsi) avec une mère atteinte du syndrome de Stockholm qui avait fini par aimer passionnément un fou. Emmy avait certainement assisté à des viols, maltraitances et sans doute tant d'autres horreurs qu'elle pensait être tout à fait normales dans une relation amoureuse. Et comment aurait-elle pu deviner ? Son mutisme et son absence d'identité avait empêché qui que ce soit avant lui de connaître son enfance et les conditions dans lesquelles elle avait vécu. Personne n'avait pu lui expliquer ce qu'était une véritable famille avec deux parents aimants, sans aucune violence physique ou mentale.
À cause de tous ces facteurs, il se trouvait désormais en présence d'une jeune femme de vingt-et-un an qui ne connaissait rien, ni de la vie, ni de l'amour, et qui avait des valeurs complètements opposées au reste du monde. D'après ce qu'Evan avait compris, son mutisme n'était même pas lié à ses parents, qu'elle chérissait tous les deux tendrement, mais à l'incendie dans lequel elle avait perdu sa mère.
Devant l'étendue des dégâts, il ne put s'empêcher de pousser un faible gémissement de désespoir, qui lui valut un regard interrogateur de la jeune femme à ses côtés.
- Dis-moi, est-ce que tu as peur de ton père ?
Emmy hocha la tête le plus normalement du monde, à la consternation d'Evan.
- Tu as peur de lui parce que tu l'aimes ?
Elle confirma une nouvelle fois, confortant son psychiatre dans l'idée qu'il avait assez bien cerné la situation. Comment lui faire comprendre désormais que son enfance avait été un enfer et non une normalité ?
- Tu m'aimes bien moi, n'est-ce pas ? Est-ce que tu as peur quand je suis avec toi ?
Emmy réfléchit quelques secondes puis fronça les sourcil un instant, comme si elle réalisait que ses sentiments pour son père et Evan avaient quelques similarités et pourtant énormément de différences. Puis elle secoua négativement la tête pour répondre à la question.
- C'est parce que c'est un sentiment négatif, qui ne devrait pas exister lorsque tu es avec une personne que tu apprécies. En particulier un père. La peur existe pour te prévenir d'un danger, pour que ton instinct te pousse à éviter une situation que tu ne veux pas vivre. Elle ne devrait absolument pas coexister avec l'amour.
Puisqu'il fallait en passer par là, Evan se retrouva pendant le reste de la séance à expliquer la vie à sa patiente. À lui raconter des choses qu'un jeune enfant pourrait déjà savoir. Il lui enseigna que deux adultes qui s'aiment vivent ensemble après s'être séduits, et parfois mariés. Mais qu'en aucun cas l'un d'eux était gardé enfermé dans une cave. Il lui dévoila que sa mère n'aimait pas réellement son père, mais qu'elle en avait l'impression à cause d'une maladie qui l'empêchait d'être rationnelle. Que frapper, violenter et terrifier n'étaient pas des preuves d'amour, et que l'union de ses parents n'était rien d'autre qu'un crime de la part d'un kidnappeur.
Au fur et à mesure qu'il lui expliquait toutes ces choses, Evan s'assura qu'elle comprenait bien, et lorsque ce n'était pas le cas, il tentait de l'éclairer avec d'autres mots. À la fin de la séance, elle semblait avoir appris bien plus de choses de la vraie vie, mais il sentait que la gravité de tout ce qu'elle avait vécu lui échappait encore. Elle savait désormais que tout cela n'était pas normal, mais elle ne réalisait pas l'horreur de la chose.
En sortant de la clinique en cette fin de matinée, Evan rejoint sa voiture et resta immobile sur le siège conducteur un long moment, comme vide. Au fur et à mesure qu'il ressassait les souvenirs qu'il avait avec elle, tout s'éclairait. L'absence quasi totale de filtre de la jeune femme lui revenait soudainement sous de multiples formes. Cela expliquait également le fait que son père n'avait eu aucun scrupule à le poignarder.
Cette fois, le psychiatre irait voir la police. Puisque cet homme était un criminel recherché, il serait sans doute rapidement attrapé avec les difformités, reconnaissables entre toutes, que l'incendie lui avait infligé. Ce malade allait payer chèrement les deux vies qu'il avait brisées en kidnappant la mère d'Emmy.
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L'ange muette
RomanceArtémis ne parle pas. Elle n'est pas muette. Suite à un traumatisme d'enfance, elle a décidé de ne plus parler. Désormais, elle dessine pour exprimer ses sentiments et son histoire. N'acceptant l'aide de personne, elle ne montre jamais ses œuvres et...