Ça lui semblait tellement difficile de détacher son regard d'elle... Il avait l'impression que ses yeux étaient un aimant puissant, attirés par la beauté qui émanait d'elle. Et après tout, qu'y avait-il de mal à l'observer ? Tant que ça n'allait pas plus loin, personne ne lui dirait rien.
En attendant, la jeune femme semblait concentrée sur son dessin. Ça lui donnait une certaine aura mystérieuse. Encore plus que ce qu'elle n'était déjà.
Après l'avoir regardée quelques minutes, il vérifia l'heure à sa montre. Après ça, il partirait au cabinet qu'il tenait l'après-midi. Sans doute qu'un jour il exercerait uniquement en cabinet. Ou uniquement en clinique. Seulement, Artémis n'aurait pas besoin de lui éternellement, il en était conscient.
Et quand bien même elle ne faisait aucun progrès, il serait remplacé après un certain temps, le directeur de la clinique considérant qu'il n'aurait pas été assez performant.
Evan se leva du siège et alla se placer devant la fenêtre, desserrant sa cravate. Il ne savait pas si c'était ce dernier geste qui lui valut un regard désapprobateur d'Artémis mais il y avait quelque chose qu'elle n'avait pas apprécié pour qu'elle lui offre de tels yeux assassins.
Il haussa les épaules imperceptiblement et reporta ses yeux derrière la fenêtre de verre avec un léger sourire. Il ne pouvait s'empêcher de savourer sa victoire d'avance. En moins d'une heure, il avait obtenu d'elle ce qu'aucun autre n'avait réussi : un dessin.
Pourtant, dit comme ça, ça semblait tellement futile, inintéressant. Mais il se doutait qu'il apprendrait beaucoup d'elle rien qu'en observant les traits qu'elle était en train de représenter minutieusement dans son dos.
Il revint s'assoir sur la chaise lorsqu'il entendit un bruissement de feuille et reprit sa contemplation de la jeune femme. Elle aussi levait souvent les yeux vers lui, avec une légère rougeur peintes sur ses joues.
Pendant un instant, il la soupçonna de le dessiner, lui. Mais il chassa ces pensées peu réalistes.
Qu'était-il arrivée à cette jeune femme ? Evan était curieux. Personne n'avait déclaré sa naissance lui avait-on dit. Avant les huit ans de cette femme, il n'y avait absolument aucune trace d'elle sur terre. Comme si elle était apparue du jour au lendemain. Muette et pourtant sans aucune présence de maladie ou dégradation d'organes.
Pendant un instant, Evan considéra le fait qu'elle ne soit pas humaine. Comment une personne normale pouvait-elle se taire pendant onze ans ? Ne pas prononcer un mot ? Criait-elle seulement lorsqu'elle se blessait ? Qu'elle se cognait ou tombait ? Evan n'arrivait pas à l'imaginer parlant ou émettant le moindre son, il ne parvenait pas à placer une voix sur ce visage.
Il l'imagina avec des ailes. De grandes plumes blanches qui la porteraient où elle voudrait. Étonnamment, le portrait qu'il se faisait d'elle en ange lui seyait particulièrement bien. Elle serait une ange muette.
- Une ange muette, répéta-t-il dans un murmure.
Artémis leva un regard interrogateur vers lui. Regard auquel il répondit par un sourire énigmatique. Énigmatique car il ne savait pas lui-même quel sens il voulait lui donner.
- Ne vous préoccupez pas de moi, Miss Spark, lui conseilla-t-il sans plus de détails.
L'avantage de son silence est qu'elle ne pourrait pas lui poser de questions.
Elle retourna alors à son dessin. Puis quelques minutes plus tard, elle prit la feuille, posant le support sur le lit de façon à cacher les autres feuilles, et se leva du matelas pour aller face à lui.
Elle avait dessiné deux silhouette. L'une semblait assise, recroquevillée sur elle-même, l'autre était bien plus petite, lointaine. Un mur séparait ces deux silhouettes. Evan devait avouer qu'elle avait du talent.
Puis la jeune femme désigna la silhouette assise avant de se désigner elle-même. C'était donc elle sur ce dessin. Il aurait dû s'en douter : on pouvait aisément deviner les mèches de cheveux qui retombaient dans son dos.
Alors, Artémis lui montra la deuxième silhouette, puis elle enfonça son doigt dans son torse faiblement. Le message était plutôt clair, c'était lui cet homme fuyant. Elle voulait qu'il s'en aille, qu'il la laisse tranquille.
Evan ne ressentit même pas de pincement au cœur. Parce qu'elle avait coopéré bien plus qu'il ne l'avait espéré pour une première entrevue.
Il prit la feuille et se leva de la chaise avant de se diriger vers la porte.
- Puisque vous insistez, je vais vous laisser seule, déclara-t-il avec un sourire. À demain, Miss Spark!
Il partit donc en prenant soin de fermer la porte derrière lui. Il rejoignit son véhicule et resta un long moment assis au volant, immobile à regarder la feuille de papier. Il avait encore l'image de ses doigts graciles s'activant dessus au crayon.
Il eut un soupir de satisfaction puis déposa le dessin sur le siège passager avant de démarrer la voiture et conduire jusqu'à son appartement.
Pour une fois, la circulation agitée de la ville ne l'ennuyait pas. Car il avait autre chose en tête que son désir de rentrer chez lui le plus rapidement possible. Aujourd'hui, c'est elle qui ne quittait pas son esprit. Et il ne put s'empêcher de constater qu'elle le touchait plus qu'il n'aurait voulu. Ses mains tapotaient sur le volant au rythme d'une musique imaginaire, un sourire béat scotché sur les lèvres.
Néanmoins, il reprit rapidement ses esprits et arriva peu de temps après au cabinet dans lequel il s'était installé peu de temps avant. Il devait encore finir de rembourser le prêt que la banque lui avait accordé pour obtenir son espace professionnel. Mais il n'était pas inquiet. Avec la pub qu'il s'était fait, il obtenait déjà quelques rendez-vous et bientôt, ses revenus seraient suffisant pour rembourser l'intégralité du cabinet.
Il s'installa à son bureau et rangea le dessin d'Artémis dans le dossier au nom de la jeune fille et décida de se détendre avec un peu de musique. L'un des trois rendez-vous qu'il avait donné cet après midi serait là dans une dizaine de minute.
Evan réfléchit un peu à la situation et une idée lui traversa rapidement l'esprit. Il était évident qu'Artémis ne souhaitait pas être suivie par un psychiatre. Mais qu'en était-il d'un ami ?
Si elle avait été placée en clinique à l'âge de dix ans, muette, il se doutait que la vie sociale de la jeune femme devait être plutôt vide.
La décision fut vite prise. Dès qu'il arriverait à la clinique le lendemain matin, Evan Collins ne serait plus le psychiatre d'Artémis, mais son ami et confident.
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L'ange muette
RomanceArtémis ne parle pas. Elle n'est pas muette. Suite à un traumatisme d'enfance, elle a décidé de ne plus parler. Désormais, elle dessine pour exprimer ses sentiments et son histoire. N'acceptant l'aide de personne, elle ne montre jamais ses œuvres et...