Partie 2

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Evan relisait une dernière fois le dossier de sa première patiente. La psychiatre Gresy lui avait confié ces papiers, lui disant ce qu'il y avait à savoir. Et la tâche risquait d'être épuisante. Pas un mot depuis onze ans. Docteur Gresy avait bien insisté là-dessus. Pas un seul mot.

Même si les tests qu'elle avait passés affirmaient qu'elle pouvait parler, Evan se posait des questions. Se pouvait-elle qu'elle soit réellement muette sans que personne n'ait rien remarqué ? Ça semblait assez irréaliste. C'est la raison pour laquelle il ne se faisait pas d'illusions. Sa patiente serait sans doute aussi indomptable qu'elle l'avait été avec sa précédente psychiatre.

Une fois arrivée devant la chambre de ladite patiente, il hésita un peu, ne sachant pas à quoi s'attendre. Le dossier ne mentionnait aucune maladie mentale, rien d'anormal. Seulement ce silence constant depuis onze ans. Il y avait aussi ses dessins. Artémis Spark dessinait beaucoup. Cet élan artistique s'était exprimé vers ses dix neuf ans. Et depuis deux ans, elle ne cessait de dessiner. Seulement, personne n'avait pu voir ce qu'elle avait créé. Elle ne laissait personne regarder ses œuvres.

Evan soupira et referma le dossier avant de toquer fermement à la porte. Personne ne lui répondit. Il se gronda lui-même. Qu'espérait-il exactement ? Un petit "entrez" joyeux ?

L'homme appuya donc sur la poignée de la porte et entra. Pour se retrouver dans une chambre vide. Elle n'était donc pas là. Il étudia la petite pièce du regard. Un lit aux draps blancs, une petite télé surplombant une commode, une armoire murale et une chaise avec une petite table. Rien ne venait décorer la chambre. Pas de cadres, de photos, ni même de dessins. Cet endroit semblait si froid et impersonnel. Evan eut un pincement au cœur en songeant qu'une personne avait pu rester ici pendant tant d'années. Il y avait également une deuxième porte qu'il devinait être celle d'une salle de bain attenante. Lorsqu'il entra, il constata qu'il avait raison. Mais là aussi, la pièce était vide.

Alors qu'il venait de sortir et refermer la porte, une infirmière qui l'avait sans doute vu rentrer s'approcha de lui avec un sourire désolé aux lèvres.

- Si vous cherchez Artémis, elle est sur le banc, dans l'arrière-cour.

- Oh merci... Sasha, répondit-il après avoir lu le badge sur la blouse de son informatrice.

Avant d'aller confirmer les dires de celle-ci, il retourna à sa voiture pour y déposer le dossier. Inutile de s'encombrer avec ça. Et autant mettre sa patiente en confiance en adoptant une attitude moins professionnelle. Qui sait combien de temps ça lui prendrait avant de réussir à la faire parler ?

Il se dirigea ensuite vers l'arrière-cour, la cherchant du regard. À quelques mètres, il vit alors une jeune fille accompagnée d'un couple plus vieux. Sans doute sa famille d'accueil, pensa-t-il.

Il s'approcha d'eux d'un pas déterminé mais s'arrêta net lorsque la femme se mit à parler. Ce n'était pas sa patiente.

Son regard dériva un peu plus loin, sur un autre banc. Une jeune femme assise par terre, penchée sur le siège du banc, semblait visiblement très concentrée. En s'approchant un peu plus, il distingua la nature de son activité.

La jeune femme dessinait.

Evan venait de trouver Artémis.

Elle correspondait parfaitement à la description qu'avait faite docteur Gresy. Long cheveux blonds ondulés qui n'avaient pas dû être coupés depuis très longtemps, vêtements légèrement abîmés, signe qu'elle n'était pas adpete du shopping. "Négligée" avait écrit Gresy sur son rapport. Quand il s'approcha plus près de la jeune femme et qu'elle releva la tête vers lui, ce mot lui parut loin de la vérité. Ces yeux bleus, aussi glacial que le silence avec lequel elle l'accueillait, lui secouaient les tripes. Ses lèvres pleines, comme deux pétales de rose que le début de printemps aurait fait gonflés, l'hypnotisèrent pendant un instant. Son teint pâle s'accordait merveilleusement avec les lignes fines de son visage.

À ce moment-là, Evan maudissait la négligence de miss Spark, dont la beauté naturelle l'avait décontenancé pendant de longues secondes.

Elle semblait l'avoir remarqué aussi puisque son regard était passé de dur à incertain.

Evan s'intima alors de reprendre ses esprits. Bon sang, à peine venait il de finir ses études et commencer son job qu'un délicieux obstacle se plaçait sur sa route. Il reprit contenance et s'assit sur le banc, jetant un bref coup d'œil au dessin de sa patiente avant que celle-ci ne le lui cache, retrouvant son regard glacial.

Il ne prit pas ombrage de ses réticences et se présenta.

- Enchanté, je suis votre nouveau psychiatre, dit-il simplement avec un sourire sincère.

Devant le silence imperturbable d'Artémis, il rajouta pour plaisanter :

- Non je t'en pris, pas de ça entre nous, appelle-moi Evan.

Elle ne sembla pas apprécier la misérable tentative d'humour car elle réunit ses feuilles et prit son crayon avant de partir. En la suivant, Evan devina qu'elle se dirigeait vers sa chambre.

Il la suivit sans rien dire. Il était un homme de peu de mots, et il pressentait que ça l'aiderait au cours du suivi qu'il devait effectuer avec Artémis.

Une fois arrivés devant sa chambre, elle entra et referma la porte au nez d'Evan, le laissant les bras ballants. Pendant un instant, il ne sut pas vraiment quoi faire. Devait-il rentrer de force ? C'était quand même son espace personnel. Il décida de toquer pour qu'elle vienne lui ouvrir, même s'il se doutait qu'elle n'en ferait rien.

Au moment où Evan levait le poing pour frapper à la porte, celle-ci s'ouvrit découvrant Artémis, un sourire narquois accroché sur ses lèvres, trahi par la pointe de curiosité qu'il devinait dans ses grand yeux bleus. Il remarqua que son matériel de dessin avait disparu. Elle avait du le ranger.

Il entra et prit place sur la chaise sans dire un mot. Il s'était déjà suffisamment ridiculisé pour aujourd'hui. Artémis prit place sur le lit, dos à lui.

Il prit donc le loisir d'observer sa silhouette à moitié cachée par sa chevelure. Elle était loin de ce qu'il avait pu imaginé. Ce qui l'étonnait le plus, c'est la lucidité déconcertante qui semblait animer son visage. Il savait déjà qu'elle n'avait aucune défaillance mentale. Mais il ne s'attendait pas à la voir si... Les mots lui manquaient même pour décrire la manière d'être de sa mystérieuse patiente.

Evan se tira de ses pensées et décida qu'il était temps de commencer.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant