L'ange muette

Partie 34

Lorsque le soir arriva et que tout le monde se retira dans les chambres, Evan se trouva tiraillé entre sa raison et son coeur. La première espérait qu'Emmy ne viendrait pas comme le soir d'avant, qu'elle resterait sagement dans son lit sans chercher à aller le voir. Mais d'un autre côté, toute son âme suppliait
silencieusement n'importe quelle divinité de mener la jeune femme jusqu'à lui.

Après de longues minutes qui lui semblèrent durer une éternité, se perdre dans la contemplation du paysage derrière sa fenêtre le calma, au point qu'il en oublia presque l'objet de ses tracas. Mais derrière lui, la porte s'ouvrit, et il put constater en se retournant que l'un de ses deux souhaits avait été exaucé.

- Je viens juste te dire bonne nuit, chuchota Félicie en rejoignant son fils pour lui donner un baiser sur le front. Et je suis désolée pour l'accident au
bois aujourd'hui, mais cette petite est vraiment têtue.

Elle rigola doucement et quitta la chambre après un dernier geste de la main. Quelques minutes après son départ, Evan décida qu'Emmy ne viendrait sans doute pas ce soir. Peut-être même que la jeune femme s'était déjà endormie après sa journée éprouvante.

Alors qu'il s'apprêtait à se déshabiller pour aller dormir, la porte s'ouvrit de nouveau. Mais cette fois, il s'agissait de celle qu'il avait secrètement espéré voir.

Emmy clopina jusqu'à lui et l'embrassa maladroitement, avant d'aller se coucher dans le lit. Le baiser qu'elle lui avait donné avec tant de désinvolture l'avait
tellement stupéfait qu'il n'avait même pas eu le temps de retrouver ses esprits pour y répondre.

- Mais... Qu'est-ce que tu fais ? balbutia-t-il après quelques secondes de silence.

Emmy se redressa dans le lit et l'observa d'un air perdu, comme si la raison de ses actions coulait de source.

- Je fais l'amour ?

Evan décida d'ignorer le caractère incongru et malheureusement incorrect de sa réponse. « La nuit va être très longue », songea-t-il en soupirant. Son cœur se serra à l'idée de ce qu'il s'apprêtait à faire. Il fallait qu'il lui donne quelques petites explications, qui risquaient d'éloigner la jeune femme de lui à tout
jamais. Il traversa la pièce et s'installa près d'elle sur le lit.

- Bon, pour commencer, tu ne fais pas l'amour. Tu aimes, éventuellement, mais faire l'amour c'est tout autre chose, c'est une action.

Emmy tapota sa bouche dans une question muette pour savoir si les baisers en faisaient partie. Evan se sentit pâlir. Il avait l'impression de devoir expliquer les choses de la vie à une enfant, et il espérait pouvoir ne pas trop en dire sans piquer la curiosité d'Emmy.

- Les baisers font partie du processus, mais c'est quelque chose que tu découvriras peut-être un jour.

Il prit sa main dans la sienne, et avant qu'elle ne puisse répondre, continua sur sa lancée.

- Écoute-moi bien. J'aimerais beaucoup t'apprendre tout ça, t'aimer et que tu m'aime. Mais je suis un psychiatre. Et nous sommes là pour aider nos patients avec leurs problèmes. Pas pour leur en rajouter de potentiels nouveaux. Et malheureusement, tu es ma patiente. Ce que nous faisons, là, ce n'est pas bien.

Après cette déclaration, un silence lourd tomba sur la pièce. Le regard d'Emmy se baladait, cherchant dans le vide une réponse qu'elle ne trouvait pas. Elle tentait vainement de comprendre ce que cela signifiait. Mais elle avait bien deviné que leur relation allait en pâtir, comme le trahissait la lueur de tristesse
qu'Evan décelait dans ses yeux.

- Mais tu n'es pas un problème, murmura-t-elle avec toute la candeur qui la caractérisait.

Evan pouvait entendre le cœur de la jeune femme, et le sien avec, se briser dans l'atmosphère pesante de la chambre. Emmy avait fixé son regard au sien, et attendait une réponse avec l'espoir d'avoir mal compris ce qu'impliquaient les explications du psychiatre.

- Je sais que c'est ton impression, répondit-il difficilement. Mais même si ce n'est pas le cas aujourd'hui, je pourrais le devenir demain. Pour de
nombreuses raisons. Le fait est que, dans notre cas, il nous est interdit de nous aimer. J'aurais préféré qu'il en soit autrement mais je n'y peux rien.
C'est pour ça que l'on ne peut pas continuer à faire ce que l'ont a fait hier. Et ce soir.

Après avoir intégré ces informations, Emmy sembla perdue dans une intense réflexion pendant quelques longues minutes. De temps en temps, son regard se posait sur Evan avant de dévier ailleurs. Puis elle brisa enfin le silence.

- Tu dois m'aider avec ce problème alors : je n'ai jamais connu le vrai amour et j'ai besoin de savoir comment on aime.

Face à l'expression hésitante de son interlocuteur, elle rajouta :

- Seulement pour m'aider à ne pas me tromper et me blesser, ou blesser ceux que j'aimerai. Et puis, personne n'en saura rien...

Elle sembla rassurée lorsqu'Evan lui accorda un petit sourire espiègle. Sa jeune patiente était décidément très intelligente. Malgré l'interdit, il ne protesta pas. Il s'attendait à ce qu'elle accepte son explication et ses conséquences sans dire quoi que ce soit. Mais dès qu'il avait fait le choix de mettre fin à leur relation ambigüe, il avait su qu'il ne pourrait jamais résister si elle décidait de ne pas se laisser faire.

Encouragée par l'attitude conciliante d'Evan, la jeune femme se rapprocha et déposa quelques petits baisers hésitants sur la joue de ce dernier. Son audace et son visage d'une infinie beauté, seulement éclairé par la clarté de la lune, achevèrent de briser la volonté du psychiatre. Il la serra davantage contre elle et répondit à ses avances en l'embrassant tendrement. Puis il la relâcha et s'allongea dans le lit à côté d'elle.

- C'est tout ? demanda Emmy, visiblement déçue de ne pas retrouver la fougue de leurs précédents baisers dans celui qu'il venait de lui donner.

Son irrésistible candeur et sincérité amusèrent Evan et il l'attira contre lui pour qu'elle s'allonge à son tour.

- Oui, c'est tout, murmura-t-il malicieusement à son oreille. Sinon j'aurais peur de t'apprendre bien trop tôt la différence entre aimer et faire l'amour. Maintenant, dors.