Partie 5

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Artémis se retourna encore une fois dans son lit, ruminant ses regrets. Elle avait fait une erreur, une grosse erreur. En voulant le chasser, elle l'avait probablement encouragé à rester. Ces gens-là examinaient tout, absolument tout.

Elle se pencha par dessus le lit et tâtonnant le sol dans la pénombre, elle finit par en extirper une feuille de papier. Elle se plaça devant la fenêtre pour profiter de l'éclat de la lune afin d'observer le dessin. Son visage. Si jamais il trouvait ceci, ça serait désastreux. Bon, elle exagérait un peu mais c'est ce qu'elle ressentait. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait éprouvé le besoin de dessiner son psychiatre.

D'un mouvement impatient, elle froissa la feuille de papier avant de la jeter sous sa commode. À la place, elle dénicha un autre dessin et une photo découpée dans un journal. Elle les étudia l'une à côté de l'autre en souriant. Elle voulait dessiner son père mais quelque chose l'en empêchait. Lorsque, quelques années plus tôt, elle regardait les informations dans le salon commun, les gens avaient des réactions très excessives à l'entente du nom de Vincent. Comme s'ils le détestaient. Mais Artémis, elle, aimait beaucoup son père. Seulement, comme sa mère, il avait été tué. Bien trop tôt.

Artémis essuya la larme silencieuse qui traçait son chemin sur sa joue. Puis elle rangea les portraits de ses parents et se recoucha. Dans quelques heures, le jour se lèverait. Dans quelques heures, Evan reviendrait. Artémis ne voulait pas le revoir. Il lui inspirait trop de sentiments contradictoires. Il lui inspirait trop de sentiments tout court. Elle ne savait pas pour quelle raison elle réagissait comme ça à propos de lui mais ça lui faisait peur.

Alors qu'une immense solitude l'envahissait, et qu'un étau puissant se refermait de plus en plus autour de son cœur, elle exprima pour la première fois, le besoin de parler. Le besoin de dire quelque chose, n'importe quoi. Depuis qu'elle avait appris la mort de ses parents, elle s'était enfermée dans le silence, ne voulant parler à quiconque, comme lui avait conseillé son père. Mais maintenant qu'elle éprouvait des sentiments d'une nature encore inconnue envers quelqu'un d'autre, elle ne pouvait plus se taire.

"Tout le monde te feras souffrir, je suis le seul qui t'aimera sincèrement tu comprends ?"

Les mots de Vincent tournaient en boucle, inlassablement dans son esprit. Artémis tenta de lui dire, mais quand elle ouvrit la bouche, aucun son n'en sortit. Elle se redressa brusquement sur son lit, se tenant la gorge d'une main, les yeux écarquillés. Elle se savait capable de parler alors pourquoi ne le faisait-elle pas?

Elle tenta de prendre de grandes inspirations pour se calmer. Mais celles-ci sortaient par à-coups au fur et à mesure qu'une panique grandissait en elle. Elle se leva et cria en silence. Sa bouche s'ouvrait et se fermait sans qu'elle puisse émettre un son. D'un geste rageur, elle frappa dans le carreau de la fenêtre. Bien, sûr, elle ne réussit qu'à se faire mal, et c'est ce qui la mit encore davantage en colère. Tandis que ce sentiments, qu'elle avait l'habitude d'extérioriser sur du papier, se faisait de plus en plus oppressant, elle frappait les murs de ses poings, finissant par s'attaquer au mobilier. Elle renversa la table, puis la chaise sur laquelle son nouveau psychiatre était assis ce matin même.

Peu après le grand fracas qu'avaient causé ces derniers gestes, elle entendit la porte s'ouvrit avant que le personnel de nuit vienne l'arrêter. Artémis tenta de se débattre au début, puis elle sentit qu'ils lui enfilaient quelque chose, comme une veste à l'envers dont ils arrivèrent rapidement à attacher les manches dans son dos. Elle tenta de leur donner des coups de pied, elle ne voulait pas qu'on l'attache, elle n'était pas folle !

Mais au lieu de les décourager, cela sembla donner à ces geôliers davantage de motivation à la stopper. Une fois qu'elle eut perdu l'usage de ses bras, ils la déposèrent sur le lit. Alors elle se calma. Artémis ne reconnut aucun des infirmiers et infirmières qui avaient l'habitude de travailler de jour. Il y avait deux hommes et une femme qu'elle ne connaissait pas. Les hommes quittèrent la pièce immédiatement après. La femme accorda un regard au mobilier renversé avant de s'assoir sur le lit, près d'elle.

- Tu devrais dormir mon enfant, lui conseilla-t-elle en caressant ses cheveux tendrement. Demain nous t'enlèverons cette camisole si tu ne fais plus de colère.

Étonnamment, Artémis ne se fâcha pas davantage devant le comportement de l'infirmière qui la traitait comme une enfant. Comme le faisait la majorité du personnel de la clinique.

L'infirmière sortit de la pièce avant de refermer la porte, laissant Artémis seule dans la pénombre. Celle-ci se retourna difficilement sur le côté. Dans cette position, son bras droit se retrouvait complètement écrasé entre le matelas et son propre poids. Mais ça n'était pas assez insupportable pour qu'elle ne ressente pas la soudaine et brutale vague de fatigue s'abattre sur elle. Comme si toute la colère et la tristesse qu'elle avait déversée ce soir revenait comme un boomerang sous forme d'épuisement.

Et quelle colère, quelle tristesse! Artémis n'avait jamais ressenti ces choses à de telles ampleurs. Au point que ça l'effrayait. Avait-elle simplement accumulé un trop plein d'émotions pendant tant d'années ? Ou est-ce qu'elle était en train de devenir folle ? Dans les deux cas, Artémis n'était pas rassurée. Pour la première fois depuis onze ans, elle ne voulait pas qu'on la laisse seule. Elle avait besoin de quelqu'un.

Peu après ce constat, Artémis sentit ses paupières s'alourdir. Et avant qu'elle puisse s'en apercevoir, elle s'était endormie.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant