Partie 25

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Lorsqu'elle entendit la remplaçante du psychiatre toquer à sa porte, Emmy se mit dans sa position de tous les jours. En tailleur sur le lit, face à la fenêtre. Prête à ne rien dévoiler d'elle-même, comme d'habitude. De toute façon, c'était la dernière séance à supporter avec cette femme avant de retrouver Evan.

Derrière elle, la porte s'ouvrit dans un grincement et quelques secondes de silence s'installèrent.

- Est-ce que c'est ma longue absence qui me vaut tant de froideur de votre part miss Spark ? 

En entendant la voix grave teintée d'amusement qu'elle chérissait tant, Emmy bondit hors de son lit et accourut vers son psychiatre tant bien que mal avec son attelle pour se jeter sur lui, comme une enfant qui n'aurait pas revu un grand frère depuis trop longtemps. Mais son geste fut reçu par un grognement, et elle sentit qu'il se contractait sous son étreinte. Elle recula rapidement et l'interrogea du regard. 

- Désolé Emmy mais je ne suis pas en état pour recevoir ce genre d'assaut, s'excusa-t-il l'air contrit. 

C'est vrai qu'il ne semblait pas au mieux de sa forme. Sa peau avait une pâleur inhabituelle qui contrastait avec les cernes sombres sous ses yeux. La jeune femme l'observa curieusement tandis qu'il refermait la porte derrière lui et s'installait à sa place habituelle. Ce n'est qu'à ce moment qu'elle remarqua les quelques petits points rouges qui venaient maculer la chemise blanche de son psychiatre. Alors qu'il était occupé à sortir des affaires de sa mallette, elle s'approcha et souleva le tissu de quelques centimètres. 

Bien qu'Evan, l'air horrifié, avait quasiment immédiatement repoussé sa main, elle avait eu le temps de voir un bandage, qu'elle devinait faire le tour de son ventre, et qui était tâché de rouge. De sang. Elle pointa le doigt vers sa blessure pour demander des explications. 

- Petit accident de couteau en faisant la cuisine, éluda-t-il avec un geste de la main.

Malgré ce ton qu'il voulait sans doute désinvolte, Emmy voyait bien qu'il semblait préoccupé. Peut-être s'était-il passé quelque chose dont il n'avait pas envie de parler ? Pour alléger sa conscience, elle décida de se faire pardonner ses effusions et les ennuis qu'elle lui avait apporté en s'échappant. 

Elle sortit quelques feuilles de papier vierges et des crayons de couleurs. Après tout, il avait eu l'honnêteté de se confier à elle et de lui raconter sa vie, alors elle ferait de même. Comme ça, ils seraient tous les deux sur un pied d'égalité.

Elle esquissa donc sa chambre et celle de sa mère, mais également un portrait de leur petite famille tous ensemble, avec son père. Puis vint le moment qu'elle redoutait le plus. Elle devait dessiner la tragédie qui les avait tous séparés. Jusqu'ici, elle n'en avait fait que de brefs croquis, mais jamais elle n'avait mis sur le papier le souvenir qui la hantait. 

Tout en donnant des coups de crayons d'une main sûre, elle lutta pour ne pas pleurer devant l'image qui prenait vie sous ses yeux. Les escaliers en bois qui n'avait pas résisté au feu. Sa mère qui avait entassé assez d'objets pour pouvoir monter dessus et hisser Emmy hors de la chambre. Le regard plein d'amour que la jeune femme avait vu pour la dernière fois avant de quitter la maison la hantait encore à ce jour. L'incendie avait effacé à tout jamais la moindre présence maternelle de sa vie, et jusqu'à récemment, la présence paternelle aussi.

C'est à ce moment là qu'elle avait erré quelques jours, avant que quelqu'un ne la trouve dans cet endroit plein de monde et ne l'emporte. C'est aussi à cause de ça qu'elle avait refusé de parler toutes ces années, et qu'elle en était désormais purement incapable, malgré sa bonne volonté. 

Que raconter à tous ces inconnus qui l'avaient soumise à des batteries de tests avant de la balloter de droite à gauche, pour finalement la faire atterrir dans cette clinique ? Mais maintenant c'était différent. Elle avait en face d'elle bien plus qu'un étranger. Quelqu'un de confiance, à qui elle voulait révéler son traumatisme, la cause de son mutisme. 

Elle présenta tous ses dessins à Evan, qui les examina de longues minutes, les sourcils froncés. Visiblement intéressé, il lui posa toute une série de questions, auxquelles Emmy était contente de répondre. Elle lui montra le dessin de la femme sur le portrait de famille et mima le mot ''maman'' du bout des lèvres, puis fit de même pour son père.

- C'est ta famille alors, conclut le psychiatre en scrutant le papier. Et l'enfant à côté d'eux, c'est toi ?

Emmy hocha la tête fièrement. Bien sûr, elle ne pouvait pas s'être dessinée avec réalisme. Elle n'avait pas de photos d'elle à huit ans. Et elle n'avait pas de souvenir assez précis de son apparence à cette époque pour la représenter.

Elle se rappela la photo de son père qu'elle avait trouvé dans un journal suite à l'incendie et qu'elle avait conservée. Après toutes ces années, elle était abîmée, et l'encre commençait à partir en quelques endroits. Mais Emmy en avait tellement pris soin que le visage de son géniteur encore intouché des flammes était tout à fait reconnaissable. 

La jeune femme alla la récupérer dans sa cachette et la montra au psychiatre, en faisant signe avec son doigt que l'homme de la photo et du dessin étaient la même personne.

- C'est une photo de ton père ? Il me dit quelque chose, j'ai l'impression de l'avoir vu il y a longtemps. Pourquoi était-il dans un journal, tu le sais ?

Emmy haussa les épaules. Elle n'en savait rien. Après avoir découpé ce fameux portrait, elle avait jeté le reste du journal sans même chercher à déchiffrer les mots qui l'entouraient. 

-  J'imagine que c'est en lien avec l'incendie. Tu me permets de faire une recherche ?

Elle accepta et l'observa prendre une photo du portrait de son père avec son téléphone, puis pianoter sur le clavier virtuel. Elle se pencha pour observer l'écran. Une multitude de clichés de l'homme s'affichaient, parfois accompagné de celui de sa mère. C'était la première fois qu'Emmy voyait le visage de sa mère hors des dessins qu'elle en avait fait, et elle en eut les larmes aux yeux. Elle constata que ses esquisses étaient assez proches de la réalité et qu'elle avait donc gardé une image assez correcte de la femme qui l'avait élevée pendant une partie de son enfance.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant