Partie 14

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Plus les jours passaient et plus Evan se posait des questions.

Qui était Emmy, que lui était-elle arrivée, et pourquoi n'avait-elle donc aucun passé ?

Avant, il ne s'était pas vraiment posé la question. Une petite orpheline dont personne ne connaissait ni le nom, ni le prénom, c'était difficile à retrouver dans des archives. Mais il avait fait des recherches. Même avec son vrai prénom, son âge et l'endroit où elle avait été retrouvée, il avait été incapable de trouver quoi que ce soit.

Étrangement, Evan ne pouvait pas s'empêcher de penser que ce détail d'apparence anodine concernant l'état psychologique de sa patiente était en réalité d'une grande importance.

Mais il restait patient. En effet, la jeune femme semblait s'épanouir à vue d'œil, et il était indéniable qu'elle avait fait d'énormes progrès lorsqu'elle était sorti de son mutisme pour prononcer un mot. Même un seul, cela suffisait pour donner de l'espoir au psychiatre.

En cette douce journée, elle l'accueillit avec son entrain habituel, articulant un "bonjour" silencieux du bout des lèvres. C'était un exercice qu'elle s'était donnée elle-même : elle devait répéter le mot chaque matin. Et même si aucun son ne sortait de sa bouche, elle ne s'impatientait pas et réiterait le même processus à chaque nouvelle consultation.

Ce qui était plus intéressant en revanche, c'était les dessins.

Depuis quelques jours, Emmy s'était mise à dessiner. Devant son psychiatre, dans le plus grand des silence, elle réalisait des scènes colorées ou sombres, détaillées ou floue. À la fin de la consultation, elle lui donnait sa création, sans aucune explication. Était-ce des souvenirs, des rêves, de simples reproductions de modèles ? Evan n'en était pas encore sûr, mais ce qu'il savait, c'est que ces dessins avaient une grande importance.

En effet, les dessins qu'il avait trouvé auparavant, cachés sous la commode d'Artémis, elle les lui avait refait. Pas exactement les mêmes, mais Evan avait pu reconnaître la belle femme et la maison en feu.

Ce dernier élément en particulier, lui semblait révélateur. Surtout depuis qu'il avait vu le visage complètement brûlé du père d'Emmy. De toute évidence, cet incendie avait eu lieu. Mais quand, où ? Toutes ces questions restaient sans réponses.

Aujourd'hui, comme tous les autres matins, Emmy s'installa confortablement avec son matériel et se mit à dessiner. Cette fois-ci, elle s'appliqua à y mettre les détails, mais pas les couleurs. Elle se contentait d'un simple crayon gris. Evan profita de ce moment pour l'observer, comme il le faisait de plus en plus souvent depuis quelques temps.

La jeune femme, concentrée, avait tendance à faire d'adorables mimiques de temps à autres, montrant à quel point elle était absorbée par sa tâche. C'était comme si plus rien autour d'elle n'avait d'importance, plus rien n'existait. Et l'aura qu'elle dégageait semblait annihiler tout le reste au yeux d'Evan. Elle était une magnifique fleur dans un désert aride, une étoile resplendissante dans un ciel sombre. D'une certaine manière, le psychiatre avait parfois l'impression qu'elle n'appartenait pas à ce monde. Elle avait l'air si fragile, si pure qu'un rien aurait pu la briser en mille morceaux.

Lorsque Emmy eut terminé son dessin, elle le tendit avec satisfaction à son psychiatre, qui l'examina avec attention.

Aujourd'hui, il s'agissait d'un escalier en bois avec au sommet, une porte fermée. Le tout semblait délabré, à peine capable de supporter le poids de qui que ce soit. En arrière-plan, il n'y avait rien, sinon du noir. Emmy avait créé un effet d'ombre, qui ne laissait rien deviner de ce ça aurait pu cacher. La jeune femme était tellement douée en dessin que celui-ci aurait presque pu passer pour une photo.

- Tu ne veux toujours pas me dire ce que ça représente ? demanda Evan en reportant son attention sur sa patiente.

Celle-ci remua la tête de droite à gauche avec un sourire malicieux. Il ne tirerait rien d'elle aujourd'hui visiblement.

Alors que la consultation n'était pas tout à fait terminée, elle lui tendit une feuille vierge et un crayon, puis s'assit à côté du psychiatre, visiblement dans l'attente de quelque chose.

- Quoi, tu veux que je te dessine quelque chose ?

Emmy acquiesça, la tête dans les mains, l'air satisfaite.

- Bien, bien.

Evan réfléchit quelques instants à ce qu'il pourrait lui dessiner, quand une idée lui vint en tête. Il retranscrit sur le papier ce qu'il pouvait, avec le peu de talent qu'il avait pour le domaine artistique. Une tête, des pâtes, le pelage...

- Et voilà !

Emmy observa le dessin, intriguée. Puis leva sur son psychiatre des yeux interrogateurs.

- C'est un mouton. Dans un conte très célèbre, nommé "Le Petit Prince", celui-ci demande à un aviateur de lui dessiner un mouton. Mais dans l'histoire, le Petit Prince refuse le dessin de l'aviateur quand celui-ci lui dessine un mouton comme le mien, c'est une longue histoire, je te raconterai ça la prochaine fois si tu veux. Tiens.

Evan confia son dessin à Emmy, comme elle le faisait avec lui. Mais malgré ses explications, la jeune femme semblait déçue. Elle récupéra la feuille de papier et l'observa à nouveau quelques secondes avant de la poser d'un air las sur sa commode.

- Tu voulais peut-être que je dessine autre chose, remarqua Evan avec un léger sentiment de culpabilité.

Après tout, si elle lui avait dessiné des souvenirs, ou des choses importantes à ses yeux, peut-être aurait-elle voulu qu'il fasse de même ?

En réponse, sa patiente se contenta de hausser les épaules, visiblement peu emballée par le piètre mouton qui décorait désormais sa commode.

La consultation se termina peu après, et dès qu'Evan fut sorti de la clinique, il fonça à son cabinet pour occuper sa pause déjeuner. Voir la déception sur le visage de sa jeune patiente était beaucoup trop douloureux pour qu'il ne puisse pas - non, ne doive pas - y remédier.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant