Partie 19

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Le regard perdu dans le vide devant sa fenêtre, Emmy tentait, pour la énième fois, de comprendre pourquoi Evan n'était jamais revenu. C'était comme ça qu'elle occupait ses pensées lorsque la remplaçante de son psychiatre venait la voir pour les séances, et qu'elle devait s'appliquer à l'ignorer tout du long. Personne ne lui avait rien dit, hormis qu'il était en vacances. Mais elle savait bien que c'était de sa faute, il se comportait si bizarrement la dernière fois qu'ils s'étaient vus.

Peut-être qu'elle l'avait vexé en lui prenant la main ? Ou bien qu'elle n'aurait rien dû lui dire à propos de son père. Elle soupira à la pensée de ce dernier. Il était obstiné et déterminé à l'emmener avec lui, mais Emmy n'en avait toujours pas envie. 

Suite à sa première visite, elle avait emmené son oreiller et sa couette et avait dormi dans la salle de bain, porte fermée pour qu'il ne puisse pas la voir s'il revenait. Mais après quelques nuits sans être dérangée, elle était retournée dans son lit. Ce n'est que le surlendemain qu'il était venu toquer à sa fenêtre. Le lit étant juste en dessous, il pouvait avoir une vue plongeante sur elle, mais pour éviter la confrontation, elle avait simplement feint de dormir, même lorsqu'elle l'avait entendu s'enrager derrière la vitre.

Depuis, elle passait ses nuits enfermée dans la salle de bain. Elle avait l'impression irrationnelle que s'il pouvait la voir, il trouverait un moyen de l'emmener. Si seulement il pouvait juste attendre un peu... Elle avait été privée de père depuis ses huit ans et bien qu'elle aurait aimé le rejoindre, elle ne voulait pas laisser Evan. Surtout maintenant qu'il avait subitement disparu. Elle désirait revoir son psychiatre au moins une dernière fois. Elle ne pouvait pas le quitter sans le prévenir, même si lui se l'était permis visiblement. 

Cela faisait maintenant deux semaines que son absence durait. Et cette nuit, Emmy avait reçu la troisième visite de son père. Mais cette fois-ci elle était dans la salle de bain. Elle avait silencieusement écouté les coups faibles mais frénétiques qu'il donnait au carreau. Jusqu'à ce qu'il s'en aille. Elle soupira une seconde fois.

- À quoi penses-tu Artémis ?

Emmy posa un regard vide sur la femme qui l'avait tirée de ses pensées. Elle n'était plus habituée au prénom d'Artémis. Evan employait son nom de naissance désormais. Mais sa remplaçante ne pouvait pas le connaître puisque dans les papiers, elle portait toujours le prénom que lui avait attribué sa tutrice. 

Bien sûr, la psychiatre n'obtint rien d'autre que ce regard vide de la jeune patiente, qui reprit rapidement sa contemplation depuis la fenêtre. Et cela dura jusqu'à la fin de la séance.

Dès qu'Emmy retrouva sa liberté, elle décida d'aller errer dans le parc de la clinique. Avoir reçu trois visites de son père sans que personne ne le voit, cela la rendait curieuse. Par où pouvait-il bien passer pour accéder à sa fenêtre sans se faire remarquer de qui que ce soit ?

Elle fit donc le tour du parc, une fois, puis deux. Les murs qui l'entouraient semblaient absolument intacts. Peut-être l'avait-il escaladé tout simplement ? Mais cela semblait peu réaliste, il n'y avait aucune prise pour s'accrocher, et même s'il y en avait de l'autre côté, il n'aurait pas pu ressortir par là. En réalité, le seul endroit où il pouvait s'enfuir se trouvait au niveau de la grille d'entrée. Mais elle était surveillée de nuit.

La jeune femme stoppa ses recherches, lasse de ne pas obtenir de réponses. Avec une moue boudeuse, elle donna un petit coup de pied dans l'arbre auprès duquel elle s'était arrêtée, puis regretta son geste. Quelle immaturité d'abîmer les choses sous la colère. Pas que l'arbre puisse en souffrir cela dit, il était assez grand et fort pour encaisser l'impact insignifiant qu'elle lui avait administré. À ces pensées, elle leva les yeux et exulta intérieurement. L'arbre était la solution ! Ses branches dépassaient de l'autre côté du mur, permettant à un inconnu quelconque de les atteindre avec un peu d'ingéniosité. Et une fois à l'intérieur du parc, il suffisait de grimper au tronc et se laisser retomber de l'autre côté du mur : simple comme bonjour.

Prise de curiosité, elle voulut escalader le grand arbre tout de suite, et regarder par-dessus le mur ce qui pouvait bien se cacher derrière. Malheureusement c'était impossible. Si cette partie là du parc était entièrement vide la nuit et à l'extrême opposée de la grille d'entrée, elle était en revanche fréquentée autant par le personnel que par les patients en journée.

Déçue, elle décida de rentrer. Elle avait eu la réponse qu'elle voulait. Maintenant que son esprit avait résolu le mystère de sa curiosité, elle savait qu'elle repenserait à nouveau à celui, bien plus grand, qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer depuis ces deux semaines.

Une fois de retour dans sa chambre, elle observa les quelques feuilles vierges et crayons éparpillés au sol. Elle n'avait même plus envie de dessiner. Pour qui le ferait-elle ? Bien que cette question ne s'était jamais posée à elle auparavant, elle réalisa que les années qu'elle avait passée emmurée dans son silence ne lui avaient apportées que de la solitude. Prisonnière de son propre esprit et de son obstination, communiquer avec quelqu'un avait été une libération.

Bien qu'elle ne désirait pas retourner au point de départ, seule dans sa tour d'ivoire, elle ne voulait pas se confier à une parfaite inconnue. Elle voulait revoir Evan. Le seul en qui elle avait confiance, avec son père.

Elle se laissa tomber sur son lit, tristement, à l'idée qu'elle ne reverrait peut-être jamais celui qui avait su l'apprivoiser.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant