Partie 9

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Artémis avait conscience qu'elle n'avait pas ménagé son psychiatre lorsqu'elle l'avait chassé de sa chambre, quelques jours plus tôt. Néanmoins, elle s'en était rapidement repentie, à sa manière. Et bien que l'atmosphère entre eux eût été un peu tendue pendant les jours suivants, tout allait mieux ou presque désormais.

Pour une raison qui lui échappait, la jeune femme avait bien vite pardonné au psychiatre. Peut-être car il n'avait jamais demandé à revoir les dessins, ni même mentionné leur contenu.

Une seule chose avait changé désormais. L'entêtement d'Artémis avait laissé place à une certaine timidité. Une sorte d'embarras face à l'homme qui avait vu ses dessins, son histoire. Elle se sentait mise à nue, bien qu'il fasse son possible pour la mettre à l'aise et regagner sa confiance.

Lorsque les trois coups venant de la porte retentirent comme chaque matin, Artémis se précipita pour ouvrir à Evan. Mais de toute évidence, la jeune patiente devina que cette séance ne se déroulerait pas de manière habituelle.

Son psychiatre avait amené avec lui les crayons, comme à son habitude. En revanche, il portait cette fois une grande feuille de papier et une sorte de plaque de carton rigide.

- Bonjour miss Spark! la salua gaiement Evan en rentrant d'une démarche assurée.

Bien qu'il la tutoyait et l'appelait par son prénom depuis un bout de temps, il l'accueillait toujours de la même manière.

Artémis tourna curieusement autour d'Evan, à bonne distance. Un peu comme un vautour qui surveillerait sa proie. Celui-ci installait par terre la plaque rigide - sans doute comme support, songea Artémis. Puis la grande feuille de papier et les crayons.

- Approche, lui ordonna-t-il gentiment, lui-même assis en tailleur à côté de tout son attirail.

Il tapota le sol près de lui. Une invitation muette à le rejoindre qu'Artémis saisit de bon cœur. Elle avait un étrange pressentiment. Étrange mais pas désagréable néanmoins. Elle s'assit timidement près de lui. Evan lui tendit la boîte de crayon après en avoir pris un lui-même.

- Aujourd'hui, on dessine ensemble. Tu ne peux pas utiliser de mots mais tu fais quand même des efforts pour communiquer avec moi. Maintenant c'est à mon tour de parler ton langage.

Artémis sentit ses joues se colorer vivement. C'était inattendu. Elle avait pris l'habitude de faire des dessins son petit monde à elle, d'y mettre ses sentiments les plus sincères. Le faire avec son psychiatre, c'était comme se donner à lui, d'une certaine manière. Partager quelque chose d'intime et qui leur appartiendrait.

Evan se prêta au jeu assez facilement. Bien qu'il avait l'air plutôt hésitant au début, son crayon traçait maintenant une multitude de formes, guidé par la main ferme de son propriétaire.

Après quelques regards encourageants de sa part, Artémis se lança elle aussi, aux côtés d'Evan. Elle continuait les formes qu'il avait déjà dessinées, créant quelque chose avec lui.

Tandis que la feuille se remplissait petit à petit, c'est une sorte de ballet qui prenait place au-dessus. Une main en guidait une autre, elles se séparaient pour se retrouver quelques lignes plus tard, les crayons se chamaillaient gentiment lorsque par hasard, leurs mines se rencontraient sur le papier. Toute cette danse dans un silence confortable, uniquement brouillé par le frottement des crayons sur le papier.

- Ça sera tout pour aujourd'hui, déclara Evan après ce qui semblait être un temps beaucoup trop court.

Artémis sentit une vague de frustration l'envahir. Mais elle ne protesta pas. Ils avaient dessiné longtemps après tout, et il n'y avait presque plus de place sur la feuille. Mais tout cela n'empêchait pas que la jeune femme aurait pu continuer cette activité pendant des heures.

Evan se leva pour avoir une vue d'ensemble et fit mine d'être impressionné.

- Ça alors... Digne d'une galerie d'art.

Il offrit un sourire malicieux à sa patiente et entreprit d'enrouler la feuille et de ranger les crayons.

C'est tout ?

Cette phrase tournait en boucle dans l'esprit d'Artémis. Elle aurait voulu pouvoir la formuler à voix haute, mais elle resta silencieuse et immobile.

La jeune femme sentait qu'il y avait quelque chose d'unique entre eux désormais. Une sorte de secret. Peut-être était-ce exagéré ? Néanmoins, Evan était le seul qui ne la regardait pas comme une folle, qui ne la traitait pas comme une enfant. Le seul qui avait fait l'effort de partager son language, son monde.

Pour toutes ces raisons, il était devenu unique et presque précieux aux yeux d'Artémis. Elle se promit intérieurement qu'elle ferait des efforts. Bien sûr, elle ne parlerait pas demain, ou même après-demain. Elle s'était nichée bien trop longtemps dans le confort que lui avait offert le silence pour le briser aussi simplement. Mais elle essayerait. Elle laisserait son psychiatre l'aider, elle ferait le nécessaire pour se sentir prête et un jour elle retrouverait la parole.

Ce jour-là, elle lui raconterait tout, car il le méritait.

Lorsque Evan quitta la chambre ce jour-là, avec le même "à demain miss Spark!" que d'habitude, Artémis fit un constat agréable. De manière involontaire, il était devenu son psychiatre préféré. Et peut-être même son humain préféré. Son meilleur ami. La jeune patiente accueillit ce choix incontrôlable - uniquement guidé par ses sentiments - avec euphorie.

Le cœur battant plus vite que d'habitude, elle avait regardé la silhouette élancée du médecin marcher vers la sortie de la clinique. Puis elle s'était enfermée dans sa chambre pour se réfugier sur son lit.

Après tout, elle n'avait pas nécessairement besoin d'Evan pour se préparer à parler. Confortablement assise sur son matelas, calée contre l'oreiller, Artémis s'éclaircit la gorge et ferma les yeux. Peut-être pouvait-elle le faire après tout. Peut-être aujourd'hui était-il le bon jour. Celui qui changerait sa vie. Elle pourrait alors sortir de la clinique et voir Evan non pas pendant les consultations en tant que patiente, mais comme amie.

Encouragée par ces pensées positives, la jeune femme ouvrit la bouche dans le but de parler. Après quelques secondes de silence, le seul son qu'elle parvint à émettre fut une sorte de souffle qui ressemblait à un soupir. Son cœur se serra de déception, mais Artémis s'y attendait. Elle ne laisserait pas cette défaite lui voler la victoire finale.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant