Le lendemain matin, Félicie avait accompagné Emmy dans le bois, malgré de nombreuses protestations. Elle avait peur que sur ce terrain peu régulier la jeune femme se blesse davantage ou se fatigue rapidement. Mais celle-ci était pleine d'énergie suite à la nuit qu'elle avait passé, et elle voulait se dégourdir les jambes, du moins autant qu'elle le pouvait.
- Est-ce que je peux vous poser une question ?
Emmy accepta avec un sourire, tout en observant les branches d'arbres voûtées qui formaient comme une arche au-dessus de leurs têtes, et laissait filtrer les quelques rayons de soleil timides qui venaient réchauffer la peau de ses bras nus.
- Que vous est-il arrivé pour que vous soyez dans la clinique ? C'est un peu indiscret pardon, vous n'êtes pas obligée de répondre bien sûr.
La joie de vivre de la retraité avait laissé place à un ton solennel. Étonnamment, elle n'eut aucun problème à lui raconter ce qu'elle avait caché à d'autres depuis des années.
- Ma maison a brûlé lorsque j'étais petite. Je pensais que mes deux parents étaient morts dans l'accident, mais j'ai récemment appris que mon père avait réussi à s'enfuir et qu'en plus il avait kidnappé ma mère. Nous sommes toutes les deux restées enfermées dans une cave jusqu'à cet incendie où elle a donné sa vie pour que je puisse échapper au feu. J'avais huit ans.
En voyant l'expression horrifiée que prenait la vieille dame, Emmy se sentit un peu gênée. Avait-elle dit quelque chose de mal ?
- Pauvre enfant ! Quelle injustice, murmura la vieille dame en secouant doucement la tête.
- C'est si terrible que ça ?
Bien sûr elle avait compris grâce à Evan que ce n'était pas vraiment conventionnel, et que le kidnapping et la séquestration d'autres personnes étaient des crimes importants. Mais il n'avait jamais réagi avec tant d'excès pour autant. Félicie sembla décontenancée par la question.
- Bien sûr que c'est terrible ! Les enfants sont les fruits de l'amour ! Ils vont à l'école, ils se font des amis, ils ne restent pas enfermés comme des bêtes !
Emmy rougit légèrement face à la véhémence de la vieille dame, qui semblait vraiment outrée. Mais elle ne répondit pas et les deux femmes continuèrent leur balade sur le ton plus léger des bavardages de Félicie, qui avait décidé de changer de sujet. La jeune femme reporta son attention sur le paysage qui l'entourait. Elle adorait cette nature verdoyante, les arbres désordonnés, les fougères et mousses qui décoraient la terre brune et sèche. Les quelques fleurs sauvages et buissons d'épines qu'elle croisait parfois.
Elle déborda d'enthousiasme lorsqu'elle remarqua, quelques mètres en contrebas, un petit ruisseau qui coulait paisiblement, ajoutant aux bruissement des feuilles la mélodie limpide du flot tranquille. Elle voulut descendre pour s'en approcher au maximum, sous les protestations de Félicie.
- Ce n'est pas raisonnable, faites attention ! Ça glisse là-bas, la prévint-elle.
Mais trop tard car à peine arrivée au bord, ses béquilles glissèrent sur la terre boueuse du rivage et Emmy tomba tête la première dans le ruisseau. Elle s'accrocha désespérément au rivage et refit surface en recrachant une grande gorgée d'eau. La vieille femme accourut aussi vite qu'elle le pouvait.
- Regardez où vous a mené votre obstination, la gronda gentiment Félicie en récupérant de justesse une béquille qui était tombée et s'apprêtait à dériver avec le courant. Je ne suis plus en âge d'avoir ce genre de frayeurs !
Emmy se hissa hors du ruisseau et rejoint tant bien que mal le chemin de terre avec ses béquilles glissantes. La vieille dame s'affolait à ses côtés et la pressait pour rentrer à la maison.
- Vous allez prendre froid comme ça, dépêchons. Je vais me faire gronder par Evan pour n'avoir pas su vous tenir à l'œil : voyez les ennuis que vous m'apportez, la taquina-t-elle sur le chemin du retour.
Lorsqu'elles furent toutes deux de retour à la maison, Félicie la confia à un Evan interloqué devant cette vision étrange tandis qu'elle se rendit en cuisine.
- Je suis tombée et je suis toute mouillée, l'informa Emmy l'air penaude en baissant les yeux sur ses vêtements dégoulinants sur le sol.
Devant l'air désemparé de la jeune femme, le psychiatre ne put s'empêcher d'avoir un éclat de rire. Il s'absenta et revint ensuite avec quelques serviettes, qu'il enroula autour d'elle avec bienveillance avant de l'asseoir sur le canapé.
- Ne t'en fais pas, tu vas aller te sécher et te changer et tu te sentiras bien mieux après. Tu t'es fait mal à la cheville ?
Emmy secoua la tête. Son membre blessé avait été miraculeusement épargné d'un quelconque choc pendant la chute. Il eut l'air soulagé à sa réponse et lui frictionna les bras pour la réchauffer.
- Tant mieux, c'est le principal. Tu as passé un bon moment au moins ?
- Je n'étais jamais allée dans la forêt avant, se contenta-t-elle de répondre avec un sourire béat et l'air rêveur.
- J'espère que tu en as profité, tu ne risque pas d'y retourner de sitôt.
Emmy ouvrit de grand yeux horrifié et fut sur le point de s'indigner du sourire narquois de son psychiatre. Mais il la rassura avant qu'elle n'ait le temps de dire quoi que ce soit :
- Pas sans ma surveillance en tout cas. S'il t'arrivait quelque chose, je doute que ma mère avec toute sa bonne volonté puisse te porter pour te mettre en sécurité.
Emmy retrouva le sourire. Elle n'était pas prête à rester enfermer jusqu'à la fin du séjour. Et le temps qu'il lui restait ici paraissait bien insuffisant pour continuer à découvrir tout ce qu'il y avait autour, tout ce qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de voir en vrai.
Alors même qu'elle était encore trempé de son petit incident, elle ne pouvait s'empêcher de rêvasser à ce qu'elle irait visiter plus tard, surtout maintenant qu'Evan avait promis de l'accompagner.
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L'ange muette
RomanceArtémis ne parle pas. Elle n'est pas muette. Suite à un traumatisme d'enfance, elle a décidé de ne plus parler. Désormais, elle dessine pour exprimer ses sentiments et son histoire. N'acceptant l'aide de personne, elle ne montre jamais ses œuvres et...