Partie 28

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Lorsque Evan fut de retour à la clinique, le directeur en personne le prévint qu'un homme avait été arrêté et emmené au commissariat pour avoir trépassé sur le domaine. Le psychiatre devina instantanément de qui il s'agissait et se précipita vers la chambre d'Emmy pour s'assurer qu'elle allait bien. 

Après avoir toqué frénétiquement quelques coups, il entra. Sa patiente l'attendait sagement, assise sur son matelas. Légèrement soulagé, Evan constata qu'elle n'avait aucune blessure apparente. 

- Bonjour miss Spark, la salua-t-il en refermant la porte derrière lui.

- Bonjour monsieur Collins.

Il s'arrêta brusquement et se tourna vers elle. Emmy était-elle à l'origine de ces mots, prononcés avec une voix aussi douce que du miel ? Après quelques secondes de stupeur, le psychiatre se rendit à l'évidence, c'était bien la jeune femme qui avait parlé. Il se précipita à côté d'elle et fit son maximum pour ne pas paraître trop enthousiaste. 

- Tu as réussi à parler ?

Elle hocha la tête avec un sourire ravi, visiblement aux anges. Comme il aurait voulu qu'elle recommence, qu'elle lui raconte n'importe quoi, qu'elle lui chante même ! Au comble de l'extase, il la prit par les épaules et planta fermement ses yeux dans les siens.

- Dis-moi quelque chose, ce que tu veux.

Elle réfléchit quelques instants, évitant son regard intense, un sourire gêné aux lèvres. 

- J'ai du mal, avoua-t-elle simplement.

Evan ignora la pointe de déception qu'il avait éprouvé à l'entente de cette réponse. Ce n'est pas réellement ce à quoi il s'attendait mais c'était plutôt logique. Après tant d'années de silence, elle n'allait certainement pas se mettre à bavarder comme une pie sur tout et rien. Bien qu'il aurait adoré réécouter cette voix, aussi exquise et ensorcelante que sa propriétaire, il devrait patienter un peu et ne pas la brusquer.

- Bien, inutile de te forcer alors, tu me parleras quand tu en auras envie, ne t'en fais pas. J'ai appris que ton père était revenu te voir, tu vas bien ? Il ne t'as rien fait n'est-ce pas ?

Emmy secoua négativement la tête, rassurant son psychiatre. Mais la tristesse envahit soudain son joli visage, et elle pointa du doigt sa chemise. Après avoir récupéré la photo de son père, elle fit le rapprochement entre le portrait et la blessure du psychiatre. Ainsi l'homme lui avait avoué avoir poignardé Evan. 

- Ne t'inquiètes pas, ce n'est vraiment pas grand chose d'accord ? 

Elle haussa les sourcils, lui faisant clairement comprendre qu'elle n'était pas dupe. 

- Tu n'as pas besoin de te préoccuper de ça, je t'assure. Bon, est-ce que tu veux qu'on reprenne notre conversation de la dernière fois ?

La jeune femme hocha la tête vigoureusement. Mais au moment où Evan allait prendre la parole, elle lui couvrit la bouche de sa main pour l'empêcher de parler. Pendant ces quelques secondes où le psychiatre dut se retenir d'embrasser ces jolis doigts qui venaient le toucher sans retenue, Emmy semblait plongée dans une intense réflexion. 

- Je veux savoir... Pourquoi j'aime ma mère, et toi, mais pas de la même façon, finit-elle par lui confier en retirant sa main. 

Evan fut touché comme d'une flèche en plein cœur par ces mots auxquels il prêtait un sens probablement bien différent de celui auquel elle pensait.

- C'est parce qu'il n'y a pas qu'un seul sentiment d'amour. Il y a celui que tu portes à tes parents, à tes amis, ou à ton mari par exemple. 

- C'est quoi la différence, demanda-t-elle après quelques secondes de silence. 

Le psychiatre fut dérouté par la question. Il n'avait jamais réfléchi à tout ça. C'était instinctif chez la plupart des gens. Mais bien sûr, Emmy était loin d'être comme la plupart des gens. Il pressentait que tous les nouveaux apprentissages qu'elle devrait faire seraient loin d'être une partie de plaisir pour lui.

- C'est difficile à dire, tu sens la différence assez naturellement dans la plupart des cas. L'amour que tu as envers tes parents ne touche que l'esprit. Tu ne ressens pas d'attraction physique envers eux. Les civilisations de tous les temps et tous les lieux ont toujours repoussé l'inceste, ce qui veut dire que cela vient probablement de nos gênes. Tu voudrais embrasser l'un de tes parents ?

Emmy grimaça et fit non de la tête. De voir que cette notion semblait chez elle comparable au reste du monde le rassura.

- Bien, maintenant entre l'amitié et l'amour, il y a aussi une différence. Un ami ne te plaît pas nécessairement physiquement. Tu peux le trouver beau mais ce n'est pas forcément ce qui sera le plus instinctif. Un ami, tu l'aimes parce qu'il est gentil, ou qu'il te fait rire. Tu passes de bons moments avec lui, mais tu peux ne le voir que rarement sans que cela ne t'affecte trop. Lorsque tu aimes quelqu'un d'un amour passionnel, bien sûr c'est aussi sa personnalité que tu chéris. Mais tu trouves cette personne magnifique. Au début il y a même des chances pour que tu la trouves parfaite. Cette personne que tu aimes, tu as généralement beaucoup de mal à t'en séparer. Lorsqu'elle part, tu peux te sentir triste et tu veux la revoir le plus vite possible. C'est cet amour là qui te fait ressentir les sentiments les plus forts lorsque tu l'expérimentes à ses débuts, tu comprends ?

La jeune femme, rouge comme une pivoine hocha la tête. Evan sourit malicieusement au trouble qu'il semblait lui avoir causée, pris d'une soudaine envie de la taquiner, mais il n'en fit rien.

- Je veux savoir ce que c'est, des vrais parents. 

Pris au dépourvu, le psychiatre se creusa la tête. Difficile de lui expliquer comme cela. C'était exactement l'inverse de ce qu'elle avait vécu en somme, mais comment lui faire comprendre quelque chose qu'elle n'avait jamais connu ? Il lui avait bien raconté ses anecdotes d'enfance, mais quelle valeur cela avait-il lorsqu'elle n'avait aucune notion de normalité ? 

C'est cette dernière pensée qui lui donna une petite idée. Il trouverait difficilement les mots pour lui expliquer ce qu'étaient de ''vrais parents''. En revanche, il en avait deux sous la main, qui en avaient été de formidables durant toute sa vie. 

- Est-ce que ça te plairait de rencontrer de vrais parents ? Bien sûr, ça ne sera pas la même chose mais tu pourras toujours comprendre un peu mieux ce qu'est un cadre familial, et la bienveillance qui va avec.

Emmy, visiblement intriguée par la proposition inattendue de son psychiatre, accepta avec entrain.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant