Partie 24

1.2K 111 28
                                    

Evan avait accompagné Emmy à l'hôpital ou un médecin s'était occupé de sa cheville foulée. Puis il avait laissé la jeune femme entre les mains du directeur, venu la récupérer. Le personnel de la clinique avait paniqué toute la nuit avant que le psychiatre ne les appelle dans la matinée pour les informer que la patiente allait bien. Relativement du moins. 

Comme il ne pouvait pas décemment avouer qu'elle avait dormi chez lui - pire, qu'ils avaient dormi dans le même lit! - il avait monté une histoire de toute pièce : il l'avait trouvée errant devant son cabinet, pouvant à peine marcher. Bien évidemment, après un tel manque de vigilance de son personnel, monsieur June l'avait quasiment supplié de revenir pour les consultations d'Emmy.

Mais il avait refusé. Bien sûr, il avait rassuré le vieux monsieur sur le fait qu'il ne ferait pas de scandale. Néanmoins, Evan avait besoin de cette dernière semaine de congé pour avoir ses matinées de libre afin de rattraper le sommeil qu'il perdrait, la nuit, à surveiller l'extérieur. 

Avant de quitter Emmy, il lui avait rappelé qu'il reviendrait dans une semaine, et il lui avait fait promettre une nouvelle fois qu'elle ne tenterait rien. Bien qu'il comptait sur sa sincérité, il ne se faisait pas de souci. Monsieur June avait eu bien trop peur pour ne pas renforcer la vigilance autour de la jeune femme. Ce qui la protègerait d'elle-même et de son père. 

Malgré tout, il tenait à essayer une dernière fois de coincer l'homme qui avait osé s'en prendre à sa propre fille. En plus de cette nuit, il s'était donné les quatre suivantes, puis il arrêterait de faire le guet. Si Emmy recevait encore sa visite, il irait voir la police, mais tant que l'homme ne pouvait pas atteindre sa patiente, c'est tout ce qui comptait. 

Il se retrouvait donc une nouvelle fois au milieu des hautes herbes, trois jours après l'escapade de la jeune femme, qui avait maladroitement chuté du mur, tel un petit ange tombé du ciel. Si elle devait être déchue, ce serait sans doute pour avoir fait de l'ombre à son créateur, pensa Evan avec un sourire. 

En dépit de son manque flagrant de sommeil, le psychiatre était parfaitement éveillé cette fois. Il ne pouvait s'empêcher de ressasser les suites de la petite escapade d'Emmy. Ce qu'il s'était passé plus tard dans la nuit. Quand elle l'avait réveillé en l'embrassant. 

Son baiser... Il était tellement doux et bien trop court. Mais c'était une aubaine pour lui, car s'il avait duré une seconde de plus, il n'aurait pas résisté davantage au désir brûlant qui le poussait à y répondre. À plonger ses mains dans son épaisse chevelure couleur de blé pour l'attirer à lui et lui faire regretter d'être aussi tentatrice. Mais il ne pouvait pas se le permettre. C'est pour ça qu'il avait fait semblant de continuer à dormir. S'il lui avait montré qu'il s'était réveillé à ce moment-là, il aurait dû faire un choix. Accepter ses avances ou la repousser. Dans les deux cas, il n'aurait pas pu continuer de la voir, il aurait du arrêter les consultations. 

Mais lui tenir la main, c'était la goutte d'eau. Il avait été obligé de réagir. Il se sentait comme un adolescent prépubère, d'être aussi perturbé pour si peu. Si seulement il avait pu... Et d'abord, pourquoi lui faisait-elle subir tout ça ? Bien sûr elle avait passé plus de la moitié de sa vie dans un cadre particulier mais ne connaissait-elle rien des hommes ? Peut-être qu'elle sous-estimait son propre charme après tout, ce n'était pas impossible. Ou alors elle avait pensé que l'embrasser sur le front était une avance de la part d'Evan. Quel crétin vraiment ! 

Tandis qu'il continuait de ruminer, quelques bruits discrets se firent entendre. Le psychiatre observa silencieusement les alentours depuis sa cachette. Un homme longeait le mur, mais la capuche de son sweat qu'il avait relevée empêchait de distinguer son visage dans la nuit. Quelques secondes suffirent à confirmer qu'il s'agissait bien du père d'Emmy lorsqu'il se dirigea sans hésitation vers l'échelle et qu'il commença à la manipuler.

Alors que le visage blessé de sa patiente se rappela au souvenir d'Evan, toute la rage, la fatigue et la frustration accumulées de ces dernières semaines remontèrent d'un coup à la surface. Sans même réfléchir, il bondit hors des hautes herbes, comme un animal sauvage, prêt à en découdre. Il n'était plus le psychiatre sensible et attentif, mais l'homme qui refusait que qui que ce soit s'en prenne à sa petite protégée. 

Rapide comme l'éclair, il attrapa le col de l'homme visiblement surpris et lui décocha un coup qui fit partir sa tête en arrière. 

- Alors ça t'amuse d'aller harceler ta propre fille, demanda Evan d'une voix d'outre-tombe en lui assenant un deuxième coup de poing dans le nez.

Il était tellement en colère après l'homme qu'il en voyait flou. Ce qui était une chance pour ce malade car la simple vue de son visage déformé par les cicatrices ne faisait qu'augmenter la haine du psychiatre. Et il aurait continué à le frapper jusqu'à s'en disloquer les doigts si une soudaine et vive douleur ne l'avait pas fait lâcher prise. 

Le père d'Emmy en profita pour s'enfuir et Evan le coursa sur quelques mètres avant que la douleur, de plus en plus puissante, ne l'oblige à s'arrêter et à porter ses mains sur sa taille. Que s'était-il donc passé ? Dans le feu de l'action, il n'avait porté aucune attention à ce qu'il se passait ailleurs que sur le visage de l'homme. L'adrénaline commença petit à petit à redescendre, et la douleur à augmenter. 

Lorsqu'il retrouva complètement ses esprits, le psychiatre porta son regard sur ses doigts et son vêtement, couverts d'un liquide foncé. Il jura à haute voix et se maudit en retournant vers sa voiture. Non seulement il avait laissé filé le père d'Emmy, mais en plus ce taré l'avait tailladé au couteau.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant