L'ange muette

Partie 17

Emmy observa attentivement le visage de son psychiatre pour tenter de déceler sa réaction, en vain. Il semblait plongé dans une intense réflexion, mais rien ne trahissait les quelconques sentiments qu'il aurait pu éprouver à ce moment-là. Puis, il sortit de sa torpeur et lui sourit avec douceur.

- Ton père, c'est bien le même homme que celui qui était venu te chercher il n'y a pas longtemps c'est ça ? 

Rassurée par la compréhension de son psychiatre, Emmy hocha positivement la tête. 

- Est-ce que tu serais d'accord pour me montrer comment il t'as fait ces marques ?

La jeune femme acquiesça de nouveau  et le prit par le bras, le guidant jusqu'au parc pour le placer devant la fenêtre de sa chambre, à l'extérieur. Puis, elle retourna dans sa chambre et fit face à Evan de l'autre côté des barres de fer. Elle plaça une poignée de ses cheveux dans sa main en lui faisant mimer le geste de tirer et simula le choc qui lui avait provoqué les hématomes.

- Dis-moi si je comprends bien : ton père était à ma place, de ce côté de la fenêtre. Il t'as attrapé les cheveux et t'as cogné la tête contre les barreaux ?

Emmy confirma la théorie d'Evan, qui la rejoignit à l'intérieur de la chambre.

- Quand il est venu à la clinique il voulait récupérer ta garde il me semble, est-ce que c'est toujours le cas ? Est-ce qu'il est venu pour te récupérer et partir avec toi ?

La jeune femme fit "oui" de la tête. Il comprenait exactement tout ce qui s'était passé. De fil en aiguilles, en tâtonnant avec de multiples questions, il finit par comprendre que l'homme avait pu s'introduire dans le parc, mais pas dans la clinique. Qu'il voulait également que celle-ci sorte du bâtiments pour qu'ils puissent s'échapper tous les deux, mais qu'Emmy avait refusé. Ce dernier point sembla intéresser davantage le psychiatre.

- Est-ce qu'il y a une raison pour laquelle tu ne veux pas partir avec lui ?

La patiente acquiesça, mais refusa d'en dire plus lorsqu'Evan tenta de comprendre la cause. Elle n'osait pas lui avouer qu'elle ne voulait pas quitter cet endroit pour le revoir. Il était la seul personne avec qui elle avait eu un contact, un vrai lien jusqu'ici. Elle ne parvenait pas à s'expliquer pourquoi l'idée d'être séparée de son psychiatre la rendait si mélancolique. Néanmoins, l'impossibilité de parler, mais surtout la pudeur, l'empêchait de partager ce sentiment avec l'homme qui le provoquait.

- Je n'insiste pas alors, reprit Evan. Mais j'ai quand même une dernière question. Est-ce que tu sais si ton père compte revenir te voir incognito comme il l'a fait ?

Emmy répondit positivement. Pendant un court instant, elle crut déceler de la panique chez son psychiatre et se demanda si elle n'avait pas fait une bêtise en lui confiant ce détail. Il n'allait tout de même pas révéler son secret n'est-ce pas ? En lui, elle avait une confiance aveugle. C'était une toute autre histoire pour les autres patients et employés à la clinique. D'autant plus depuis que son père lui avait dit qu'elle n'était pas en sécurité ici.

De plus, bien qu'elle n'avait pas envie de repartir avec son père, elle ne désirait pas non plus lui attirer d'ennuis. Ce qui serait le cas si quelqu'un était au courant de son intrusion dans le parc, elle en était certaine.

Soudain curieuse du silence qui régnait dans la pièce, elle se tira de ses pensées et observa le psychiatre qui semblait de plus en plus agité. Cette fois, c'est elle qui fut prise d'inquiétude. Elle lui serra fortement le bras pour attirer son attention et lui rappela sa promesse et plaçant son doigt sur sa bouche pour lui intimer le silence. Ce contact sembla le calmer. Il repoussa gentiment le doigt de sa patiente et la fit assoir à sa place.

- Tu n'as rien à craindre ici, d'accord ? N'aies pas peur. Ton père ne peut pas entrer dans la clinique, et les barreaux aux fenêtres l'empêchent de t'atteindre d'ici, si tu ne lui ouvres pas. Tu es en sécurité ici, crois-moi.

Ces paroles déstabilisèrent la jeune femme. Elles étaient le strict opposé de celles de son père. Emmy faisait confiance aux deux hommes, mais elle devait bien se décider à croire l'un d'eux. Finalement, elle se dit qu'Evan avait raison. Tant que le psychiatre restait à ses côtés et qu'il venait la voir souvent, elle ne risquait rien. Elle se contenta de hocher la tête tandis qu'il se mit à faire les cent pas. Il semblait de nouveau plongé dans une intense réflexion.

- Tu ne comptes pas partir avec lui n'est-ce pas ? 

Cette fois-ci, Emmy lui signifia un non ferme. Elle ne voulait pas s'en aller, pas pour l'instant du moins. Elle ne put s'empêcher de se demander s'il lui posait la question car il souhaitait continuer à la voir aussi. Cette pensée lui tira un sourire imperceptible. 

- Tu veux bien me donner son nom ?

Bien qu'elle aurait voulu accéder à sa requête, Emmy fut forcée de refuser. Elle connaissait uniquement le prénom de son géniteur. Son nom, elle l'avait peut-être entendu être prononcé quelques fois lorsqu'elle était encore petite mais malheureusement, elle n'en avait aucun souvenir. Et elle le regretta amèrement lorsqu'elle remarqua la vague de déception qui assombrit le visage de son psychiatre pendant une demi seconde.

"Je suis désolée" articula-t-elle silencieusement du bout des lèvres en prenant l'une de ses mains entre les siennes. Lorsque le regard d'Evan se posa sur celles-ci, les joues d'Emmy chauffèrent à en devenir cramoisies en prenant conscience de son geste, et elle relâcha la main de son psychiatre comme si elle lui avait brûlée la peau.

- Pardon mais je vais devoir écourter un peu la séance d'aujourd'hui, s'excusa Evan le regard fuyant.