Partie 20

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D'une main tremblante, Evan se servit un verre et jeta un coup d'œil au bazar qui traînait sur la table. Des notes, des tas de compte-rendu, d'observation, tous inutiles. Nicholas avait raison: traquer les grands méchants était bien au-delà de ses compétences. Il se sentait impuissant face à ce détraqué qui allait jusqu'à blesser sa propre fille. 

En y songeant, c'était sans doute la raison du mutisme de sa patiente. Elle avait probablement été battue, voire pire, durant son enfance. Elle avait peut-être fugué à l'âge de huit ans et son père, effrayé à l'idée qu'elle puisse l'avoir dénoncé, n'aurait pas cherché à la retrouver. Jusqu'à maintenant en tout cas. Qui sait comment elle devait se sentir en ce moment même ?

C'était rageant. Evan avait l'impression d'avoir fait tout son possible, et ce n'était pas assez. Ces deux dernières semaines, il avait d'abord demandé  aux passants s'ils avait aperçu un homme avec le visage brûlé. Il avait posté des petites annonces en ligne et placardé des affiches dans la rue. Il espérait qu'à défaut de témoins, le père d'Emmy lui-même viendrait le confronter, contrarié à l'idée d'être si activement recherché. Malheureusement, la seule visite qu'il avait reçu, c'était celle de la mairie qui voulait des explications pour ces affiches un peu particulière. Elles détonnaient au milieu de celles recherchant des chiens et chats perdus.

Puisque personne ne semblait avoir aperçu cet homme, Evan s'était renseigné sur les bâtiments abandonnés en ville. Même s'il y avait peu de chances, il espérait que le père d'Emmy soit peut-être en difficulté et doive loger dans un squat. Mais en se rendant sur place, il ne l'avait pas trouvé non plus. D'ailleurs, les autres squatteurs qu'il avait pu rencontrer lui avaient donné confirmation que l'homme ne vivait pas ici.

Evan se retrouvait donc au point mort. L'objet de sa traque était introuvable, aussi invisible qu'un fantôme. Il habitait sans doute quelque part dans un appartement ou une maison bien à lui. Pour que personne ne l'ait vu, il ne devait pas vivre près d'ici.

Le psychiatre abandonna son verre qu'il n'avait même pas entamé, et s'allongea lourdement sur le canapé. Il était à court d'idées. Maintenant il lui faudrait un miracle. Comme pour retourner le couteau dans la plaie, une migraine commençait à se faire fortement sentir. Il ferma les yeux et se massa les tempes. Rapidement, la fatigue s'ajouta à la douleur. Tandis que le sommeil l'emportait petit à petit, Evan s'imagina avec impuissance le père d'Emmy venant la harceler à la fenêtre. Qui sait s'il ne venait pas perturber son sommeil toutes les nuits ?

C'est cette pensée qui redonna instantanément de la vigueur au psychiatre. Il se leva brusquement et s'empara de ses clés de voiture pour foncer jusqu'à la clinique, se maudissant de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le père d'Emmy avait forcément pénétré dans la clinique par effraction. Il ne devait pas y avoir énormément d'endroits où pouvoir accéder au parc. Il suffisait donc de trouver la faille et de surveiller jusqu'à ce que le père d'Emmy se révèle de lui-même. Ça semblait si simple désormais. 

Si l'homme était réellement si déterminé à récupérer sa fille, il reviendrait, Evan en était persuadé. Et si malgré tout, il l'avait surestimé et que sa folie le poussait à changer l'objet de son obsession, au moins Emmy serait en sécurité. 

Le psychiatre se gara un peu à l'écart de la clinique. Inutile de risquer le licenciement permanant en se faisant surprendre à rôder autour de l'établissement à cette heure-là. Si quelque chose venait à se produire, on pourrait l'en tenir pour responsable. Il continua le chemin à pied, en évitant de passer près de la grille d'entrée, surveillée même de nuit.

Evan commença à patrouiller, et trouva rapidement ce qu'il cherchait. Par terre, une échelle était couchée le long du mur. Impossible en revanche de savoir depuis quand elle était ici. De ce côté du mur, un champ s'étendait à perte de vue. Non seulement personne ne viendrait se promener de ce côté-ci sans une bonne raison, mais en plus la végétation mal entretenue cachait l'échelle. Du moins, elle la cachait à des yeux imprudents. 

Le psychiatre se saisit de l'objet métallique et le plaça contre le mur avant de grimper. Il n'avait même pas besoin de monter jusqu'au dernier barreau pour que sa tête dépasse de la façade et qu'il puisse jeter un coup d'œil. Il constata qu'à un mètre de là où il se trouvait, un grand chêne permettait à n'importe qui de s'enfuir du parc, grâce à ses branches qui dépassaient vers l'extérieur du mur. Comme il l'avait soupçonné, aucun employé n'était dans les parages pour surveiller la zone. Il aurait été presque trop facile de s'introduire dans le parc maintenant.

Pendant un instant, Evan voulut aller à la fenêtre d'Emmy, simplement pour la revoir, lui parler. Pour lui expliquer ce qu'il s'était passé, pourquoi il n'était pas avec elle. En réalité, le désir de revoir sa patiente était avant tout égoïste et n'avait pour but que celui de pouvoir observer son joli visage qui lui manquait tant depuis qu'il ne mettait pas de lumière dans ses matinées.

Evan chassa ces pensées et se reconcentra sur l'affaire qui l'occupait. Pas de doute, il était bien au bon endroit. Il descendit et recoucha l'échelle, comme il l'avait trouvée. Désormais, il s'agissait de se poster dans un endroit assez dissimulé pour que l'homme puisse venir jusqu'à l'échelle sans le remarquer. Néanmoins, il n'y avait pas grand chose autour de lui qui puisse le cacher efficacement. Il se contenta donc de s'asseoir dans les hautes herbes du champ. L'obscurité de la nuit ferait le reste. 

Le plus dur était à venir. Il s'agirait de passer la nuit sans bruit et sans bouger à cet endroit, en attendant un homme qu'il n'était même pas sûr de voir arriver.



L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant