Lorsque Evan sortit plusieurs feuilles de papier ce matin-là, Emmy se pencha curieusement dessus. Ce genre de matériel était loin d'être inhabituel désormais lors de leurs séances. Néanmoins, elle n'avait pas l'habitude que le papier soit déjà recouvert d'esquisses. Le psychiatre lui fit signe de venir s'installer sur la petite table près de lui, et entreprit de lui montrer l'objet de sa curiosité.
- Je t'ai dessiné quelques petites choses, moi aussi. Je ne suis pas aussi doué que toi alors ne te moque pas, hein! Tiens.
Il lui donna le premier croquis. C'était un couple de personnes âgées. Effectivement, Emmy constata que leur apparence n'était pas des plus réaliste. Cela lui arracha un petit sourire, que son psychiatre ne manqua pas de remarquer.
- J'ai dit pas de moqueries, attention! Alors eux, ce sont mes parents, je ne les ai pas vu depuis un petit moment, ils habitent assez loin, mais je les appelle souvent. Je suis sûr que tu les aimerais, ils sont très gentils.
Evan continua de parler un peu de ses parents. Il livra au passage quelques anecdotes sur eux, et sur son enfance. Ensuite, il sortit une véritable photo d'eux, pour lui montrer à quoi ils ressemblaient exactement. Il fit ensuite de même avec le croquis d'un couple d'amis à lui, puis dévoila un dessin de son appartement et du cabinet où il recevait ses autres patients l'après-midi.
Emmy fit la moue à ce dernier détail. Sans pouvoir se l'expliquer, elle aurait préféré qu'il n'ait pas d'autres patients. Elle avait l'impression que cela rendait leur espèce d'étrange amitié moins unique, presque industrielle: s'il avait la même empathie avec tous ces autres gens, où se trouvait la limite entre le psychiatre et l'homme?
Mais elle pensa bien vite à autre chose lorsque Evan recommença à lui raconter bon nombre d'histoires drôles et anecdotes qui lui arrivaient au quotidien. Emmy, pendue à ses lèvres, buvait ses paroles avec enchantement, jusqu'à ce qu'il s'interrompe lui-même au bout d'une petite demi-heure.
- Pardon, je suis désolé, avec tout ça je monopolise la parole alors que les séances sont pour toi. Est-ce que tu as envie de me dessiner quelque chose aujourd'hui?
Non, Emmy n'en avait aucune envie. Ce qu'elle voulait, c'est qu'il lui raconte sa vie encore et encore. Qu'il lui raconte la vie, celle qu'il y avait à l'extérieur, celle qu'elle n'avait jamais eu la chance de connaître. Il lui semblait que malgré les dangers qui se cachaient derrière les grilles de la clinique, il y avait quand même du positif. Pour la première fois, elle aurait presque voulu aller voir par elle-même.
Un peu à contrecœur, la jeune femme se munit d'une feuille et de crayons et entreprit de dépeindre le ravissement que les récits de son psychiatre lui avaient procurés. Elle remplit le papier de couleurs et de formes virevoltantes, douces et tourbillonnantes. Certains de ces tracés lui faisaient penser aux grands nuages blancs immaculés qu'elle pouvait observer parfois, depuis la fenêtre de sa chambre, lors des jours de beau temps.
Le psychiatre accueillit son nouveau dessin avec enthousiasme, et la séance se termina peu de temps après, lorsqu'il quitta la clinique.
Ce n'est que tard le soir, après avoir occupé toute son après-midi à dessiner et à se balader dans le parc de la clinique qu'Emmy entreprit d'aller dormir. Mais alors qu'elle se lavait les dents dans la petite salle de bain attenante à la chambre, son attention fut retenue par un son répétitif qui semblait provenir de sa fenêtre. Comme si quelqu'un s'amusait à y jeter des petits cailloux entre les barreaux.
La jeune femme se dépêcha de se rincer la bouche et passa la tête par la porte. Il y avait quelqu'un à la fenêtre, mais de là où elle était, et à cause de l'obscurité extérieure, elle ne parvenait pas à reconnaître cette mystérieuse silhouette. Elle s'approcha rapidement et ouvrit la fenêtre.
- Viens vite, rejoins-moi dehors, lui intima l'ombre immédiatement.
Emmy, bouleversée, resta immobile avant de secouer la tête de droite à gauche. Malgré l'envie qu'elle avait d'aller retrouver son père, une équipe de nuit patrouillait toujours dans les couloirs, et elle ne pourrait pas les éviter. Mais l'homme ne fut pas satisfait de la réponse.
- Emmy bordel sors, viens! Tu n'as rien à craindre, n'aies pas peur, chuchota-t-il avec une pointe d'agacement dans la voix.
La jeune femme secoua négativement la tête une nouvelle fois. Devant l'impatience qu'elle sentait grandir chez son père, elle ouvrit la bouche et tenta d'émettre des sons pour lui expliquer. Mais bien sûr, rien ne se produisit. Emmy se sentit impuissante. Son géniteur ne pouvait pas se douter qu'elle n'arriverait pas à lui parler, il devait sans doute associer son mutisme à de l'obstination, voire un caprice.
- D'accord, écoute-moi bien, je ne peux pas entrer dans le bâtiment, mais toi, tu peux en sortir, tu peux te faufiler partout avec ta petite taille, pas vrai? Alors tu vas y aller immédiatement.
Emmy, hésitante, lança un regard à la porte de sa chambre derrière elle. Si elle partait maintenant de toute façon, reverrait-elle Evan? Sans doute pas, il ne saurait pas où elle se trouve, et elle ne connaissait pas son adresse non plus. Elle ne voulait pas partir sans rien dire. Pour la troisième fois, elle fit "non" de la tête en reportant son attention à la silhouette.
Brusquement, son interlocuteur passa son bras à travers les barreaux, et agrippa les longs cheveux blonds de la jeune femme, l'attirant à elle brutalement et ce faisant, lui cognant violemment la tête aux barres de fer.
Emmy s'accrocha aux parois de la fenêtre, tiraillée entre la douleur que lui infligeait son père en lui arrachant les cheveux, et les barreaux qui s'enfonçaient dans sa chair et appuyaient fortement sur la douleur déjà causée par le choc.
- Tu vas sortir d'ici c'est clair ? Je reviendrai autant de fois qu'il le faut mais tu sortiras. Tu n'es pas en sécurité ici, je suis le seul à pouvoir te protéger tu comprends ? Je suis le seul à t'aimer de tout mon cœur, tu as besoin de moi.
Malgré le caractère rassurant de ses paroles, Emmy sentait la colère dans la voix de son père. D'un geste rageur, il tira encore plus violemment sur ses cheveux et la relâcha brusquement avant de s'éloigner.
VOUS LISEZ
L'ange muette
RomanceArtémis ne parle pas. Elle n'est pas muette. Suite à un traumatisme d'enfance, elle a décidé de ne plus parler. Désormais, elle dessine pour exprimer ses sentiments et son histoire. N'acceptant l'aide de personne, elle ne montre jamais ses œuvres et...