Partie 35

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Le reste de la semaine passa à une vitesse folle aux yeux d'Emmy. Chaque jour, Evan et ses parents avaient tout organisé pour que les deux visiteurs ne s'ennuient pas et passent un séjour agréable. Balade en cheval, pique-nique dans la forêt que la jeune femme chérissait tant, ou simplement atelier cuisine avec Félicie pour préparer de délicieux gâteaux et tartes qu'ils dégusteraient tous ensemble au goûter ou au dîner.

Seulement, en ce dernier jour, Emmy n'était pas entièrement satisfaite. Alors qu'elle profitait du jardin, allongée sur le ventre, la tête dans les bras, à observer les moindres petits brins d'herbe et insectes qui se baladaient au sol, elle se sentait frustrée, et un peu coupable. Malgré les efforts évidents de Félicie pour lui faire passer des moments inoubliables, elle ne pouvait s'empêcher de regretter la passion qu'Evan lui avait offert la première nuit, avant de devenir plus réservé.

Bien sûr, chaque contact de sa peau contre la sienne l'électrisait toujours autant. Et chaque baiser, aussi court soit-il, l'enchantait divinement. Mais malgré tout, elle sentait qu'il y avait chez lui une certaine réserve, comme s'il se forçait à rester près d'elle.

À toute cette morosité s'ajoutait la perspective de devoir repartir pour la clinique le lendemain matin. Elle avait passé une semaine si incroyable à la campagne, et elle ne s'était jamais sentie aussi libre, loin de sa cave et de la chambre inhospitalière qu'elle occupait depuis son adolescence. Elle appréciait le contact de gens chaleureux comme André et Félicie, plutôt que le personnel blasé qu'elle avait l'habitude de côtoyer.

Alors qu'elle était encore plongée dans ses pensées, elle n'entendit pas Evan s'approcher d'elle et s'assoir à ses côtés avant qu'il ne prenne la parole.

- Tu t'es prise pour une petite fourmi à t'allonger dans l'herbe?

Emmy tourna la tête vers lui silencieusement, avec une moue boudeuse qui valait mille mots. Son psychiatre comprit que l'heure n'était pas à l'humour.

- Qu'est-ce qu'il y a, demanda-t-il, tu n'es pas contente de rentrer?

- Non, je veux rester, répondit Emmy avec un soupir à fendre l'âme.

Evan s'allongea près d'elle et lui offrit un sourire qu'il voulait rassurant.

- Tu pourras toujours revenir un de ces jours si tu veux.

- C'est vrai?

Face à l'expression dubitative de sa patiente, Evan laissa échapper un petit rire.

- Bien sûr, quand tu sortiras de la clinique tu pourras faire ce que tu veux.

Emmy se redressa, sous le choc. Elle n'avait jamais envisagé quitter cet endroit, personne ne lui avait dit qu'elle retrouverait sa liberté un jour. L'air perplexe, elle se pencha au-dessus d'Evan, ses longs cheveux blonds encadrant le visage masculin d'un doux halo doré.

- Je vais sortir un jour?

- Bien sûr, répondit Evan en retrouvant un visage grave. Tu n'as aucune raison de rester enfermée toute ta vie! Tu as des traumatismes, c'est vrai, mais pas de quoi t'empêcher de vivre en complète autonomie.

- Je pourrai aller avec toi?

Evan récupéra les béquilles de sa patiente, se releva et lui tendit la main pour l'aider à faire de même.

- Ce n'est pas pour tout de suite, tu as tout le temps de penser à ces choses-là. Viens maintenant, on rentre.

Malgré la déception que provoqua cette réponse, la jeune femme accepta la main tendue et récupéra ses béquilles avant de suivre Evan à l'intérieur.

Ce dernier avait passé une bonne partie de la matinée en consultation avec Henri et cette après-midi, c'était à Emmy qu'il allait consacrer un peu de temps. Et celle-ci comptait bien en profiter pour obtenir des réponses aux questions qui envahissaient son esprit depuis qu'elle savait qu'elle aurait l'opportunité de vivre hors de la clinique.

À peine s'étaient-ils installés dans le petit bureau coquet d'André et Félicie qu'Emmy demanda impatiemment :

- Dis-moi quand je pourrai partir.

Le sourire contrit qui apparut sur le visage d'Evan indiqua à la jeune femme qu'elle n'aurait sans doute pas la réponse qu'elle espérait.

- En toute honnêteté, je ne sais pas. Tu as retrouvé la parole, et je sais maintenant ce qui t'es arrivé avant que tu ne sois recueillie, mais tu as quand même été coupée du monde toute ta vie, sans compter les traumatismes. Ce serait imprudent de te donner un avis de sortie définitif si tôt.

Emmy se laissa lourdement tomber sur le fauteuil qu'elle avait l'habitude d'occuper lors de leurs séances, dans un coin de la pièce. Sa joie laissait peu à peu place à une certaine amertume.

- Mais je n'ai pas de traumatismes...

Evan vint s'assoir sur l'accoudoir à côté d'elle et posa une main rassurante sur son épaule.

- Tu n'en as pas conscience mais ils sont bien là. Écoute, pourquoi ne pas commencer par des sorties ponctuelles? Quelques après-midi dans la semaine, voire tout un week-end de temps en temps. Si tu sens que tu réussis à t'adapter, alors à ce moment-là je te ferai un avis de sortie définitif. Mais il faudra quand même que tu continues une thérapie, que ce soit avec moi ou un autre professionnel.

La jeune femme répondit à cette tirade d'une moue boudeuse. Il est vrai qu'elle aurait aimé pouvoir être libérée plus rapidement. Mais malgré tout, elle était secrètement ravie de savoir qu'elle aurait l'occasion de vivre seule, elle qui n'avait jamais pensé qu'elle quitterait un jour la clinique.

- Tiens bon, l'encouragea Evan. Avec les progrès que tu as fait, je ne pense pas que ça devrait prendre trop longtemps.

Il se leva et reprit place dans la chaise de bureau en face d'elle.

- Bien, reprit-il. Maintenant que notre séjour touche à sa fin, j'aimerais bien que tu me partages ton ressenti.

Emmy s'efforça de mettre de côté ses songes de liberté et se lança avec un enthousiasme non dissimulé dans un récapitulatif complet de la semaine. Elle ne tarissait plus d'éloges sur Félicie, et André aussi, qu'elle aimait bien. Même si Evan avait été présent, elle ne pouvait s'empêcher de lui raconter avec gourmandise les bons petits plats de leur hôtesse, et avec émerveillement la verdure et la nature luxuriante qui les entourait.

Bien qu'elle ait retrouvé la parole, la jeune femme avait conscience qu'elle pouvait être avare de mots. D'habitude, elle préférait le silence, et faire la conversation lui demandait un peu d'efforts. Mais après tout ce qu'il s'était passé cette semaine, elle ne pouvait plus ralentir le flot de paroles qui sortait de sa bouche. Elle n'avait jamais été aussi bavarde, au grand plaisir de son psychiatre à en juger par le sourire amusé qui éclairait son visage.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 07, 2022 ⏰

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L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant