Partie 11

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Artémis se trouva être d'excellente humeur. Ce matin, elle devait revoir Evan. Elle espérait qu'ils pourraient tous les deux dessiner, comme ils l'avaient fait la dernière fois. Elle aurait voulu partager ce moment avec lui tous les jours, indéfiniment. Qu'ils parlent le même langage, tous les deux, personne d'autre. Il était le seul avec qui elle avait réussi à communiquer dans toute son existence. Avec ses parents bien sûr.

Lorsque Evan arriva, la jeune fille était toute prête et impatiente de commencer la séance.

- Coucou miss Spark !

Il entra dans la chambre, feuilles de papier et crayons en main. Mais Artémis avait déjà tout prévu et sorti son matériel de dessin, exposé sur le lit, ce qui sembla dérouter le psychiatre.

- Oh, je vois que tu as déjà tout prévu... Est-ce que tu serais contente de me voir ? la taquina-t-il avec un sourire amusé.

Artémis, pour qui le second degré n'avait pas plus de sens que l'arithmétique, hocha vigoureusement la tête avec un grand sourire, ce qui déconcerta encore plus son interlocuteur.

- Dis donc... Je ne m'attendais pas à tant d'enthousiasme, rigola-t-il en posant ses affaires sur la commode. Bien. Viens t'installer, on va commencer.

Tandis que la jeune fille s'asseyait en tailleur sur le matelas, Evan se contenta de la chaise et décida de prendre des nouvelles de sa patiente en premier lieu.

- Alors, comment vas-tu depuis notre dernière entrevue ?

Il reçu un hochement de tête positif accompagné d'un sourire, qui faisait office de "je vais bien". 

- Et les soignants, est-ce que tu communique aussi avec eux, comme tu le fais avec moi ?

Artémis fit une moue boudeuse et secoua la tête négativement. Evan était le seul avec qui elle partageait ce lien, c'est une chose qui n'avait pas changé. Suite à sa réponse, elle guetta la réaction du psychiatre, soucieuse de l'avoir déçu. Mais elle constata soulagée qu'il ne lui en tenait pas rigueur.

- Une petite tête de mule hein ! Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave. Que dirais-tu de faire un petit exercice avec moi ?

Artémis répondit positivement, soudainement encore plus joyeuse. Elle s'apprêtait à s'emparer des crayons, mais Evan stoppa son geste.

- Non, pas cette fois. Pas maintenant en tout cas, le dessin n'est pas l'exercice principal du jour. Je vais te passer des musiques. Je veux que tu t'installe confortablement, que tu ferme les yeux, et que tu m'explique à la fin de chaque musique ce qu'elle t'as fait ressentir. Par dessin, par gestes, ce que tu veux. D'accord ?

Artémis hocha la tête, vaguement déçue et s'allongea sur le lit avant de fermer les yeux. Après quelques secondes d'attente, les premières notes d'une musique remplirent l'atmosphère. C'était sautillant, rapide, dérangeant. La jeune fille avait l'impression que les notes l'attaquaient, lui faisant ressentir un léger malaise, une sorte de début d'angoisse. Lorsque la musique cessa, elle rouvrit les yeux. Ceux de son psychiatre l'observaient intensément, comme s'il cherchait à lire en elle.

- C'est à ton tour, maintenant tu veux bien m'exprimer ce que tu as ressenti ?

Artémis se munit d'une feuille et entreprit d'illustrer ses sentiments. Quand elle eut terminé, une expression interloquée passa rapidement sur le visage du psychiatre, qui se dépêcha de reprendre sa contenance. 

- D'accord, je vois. Cette musique te fait ressentir des émotions négatives c'est ça ? Est-ce que tu aurais les mots pour la décrire si je t'en proposais plusieurs ?

Artémis répondit d'un oui de la tête à toutes les questions.

- Bien, est-ce que cette musique te rend triste ?

La jeune femme fit non de la tête et tenta de dessiner le mot "angoisse" silencieusement avec ses lèvres. Après quelques tentatives infructueuses, Evan finit par comprendre.

- Cette musique t'angoisse ?

Artémis hocha vigoureusement la tête, en faisant signe "un peu" avec ses doigts. 

- D'accord, c'était la marche turque, de Mozart. On va passer à la musique suivante.

La patiente se rallongea et écouta attentivement la musique suivante. Elle était douce, légère. Bien qu'elle n'ait aucune connaissance dans ce domaine, elle donnait à Artémis l'envie de danser. Après quelques minutes, alors que la mélodie continuait de jouer, la jeune fille se leva et tenta maladroitement d'effectuer quelques pas de danse. Evan hocha la tête devant ce petit spectacle improvisé puis attendit la fin de la musique.

- Celle-ci, c'était la sonate clair de lune, de Beethoven. Si j'ai bien compris, elle te rend plutôt joyeuse c'est ça ?

Artémis hocha la tête avec un grand sourire. Puis elle se rallongea pour la prochaine musique. L'exercice ne lui déplaisait pas, c'était plutôt agréable. Et malgré son mutisme, elle arrivait à se faire comprendre sans trop de difficulté. La mélodie que son psychiatre fit jouer sur son téléphone était également douce, mais plus calme que la dernière. Elle était apaisante, relaxante. La jeune femme profita des notes qui dansaient autour d'elle jusqu'à la fin, dans une sorte de transe. Quelques minutes de plus et elle aurait pu s'endormir. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle tenta de mimer avec des gestes, et de former les mots avec sa bouche, pour faire comprendre son ressenti jusqu'à ce que son interlocuteur touche au but.

- Cette musique est relaxante ? C'était la marche funèbre de Chopin. Je suis content que ça t'ait plu. On va arrêter pour aujourd'hui. Tu vois, peu importe que les musiques t'angoissent, te relaxent ou te font danser, le principal, c'est que tu aies ressenti des choses. Ce que je veux te montrer, c'est que la musique est un art, mais aussi une forme de communication, car elle peut t'apporter des sentiments bien précis. Et pourtant tu as pu constater qu'il n'y avait pas un seul mot à chaque fois. C'est exactement la même chose dans ton cas. Tes dessins sont un langage à eux seuls, ils sont un langage pour ceux qui savent le lire tu comprends ?

Artémis hocha la tête, en extase. Malgré leur différence de communication, elle ressentait cette complicité, comme s'ils avaient leur propre langage à eux, au-delà des mots, au-delà du dessin. C'était beaucoup plus profond, beaucoup plus touchant. La jeune fille aurait pu l'écouter parler des heures. Brusquement sorti de son émerveillement, elle songea que ce serait peut-être le bon moment pour réessayer de parler. 

Elle se concentra intensément et ferma les yeux. Son esprit formait le mot "merci". Simple, court, facile à prononcer. Elle pouvait presque l'entendre sortir de sa bouche tandis que ses lèvres remuaient lentement, répétant le mot encore et encore. 

- De rien, répondit Evan avec un sourire. 

Artémis rouvrit brusquement les yeux. Elle avait parlé ? Elle ne s'en était même pas aperçue tant elle était concentrée. Prise d'une soudaine euphorie, elle se redressa sur le lit, réessayant de parler, de formuler des sons mais rien ne sortait de sa bouche. Déçue et impuissante, elle sentit une larme solitaire rouler sur sa joue.

- Non, ne pleure pas, l'encouragea tendrement Evan en essuyant la petite goutte du bout des doigts. Tu es tellement courageuse, tu as fait d'immenses progrès je te promets. Et un jour j'espère que tu pourras reparler, mais ne sois pas triste si ça n'arrive pas maintenant. Il faut simplement être patiente et prendre les choses dans l'ordre. 

Artémis baissa la tête et laissa son regard se perdre dans les draps. Bien sûr qu'elle n'avait pas parlé. Il avait simplement lu sur ses lèvres, comme il savait si bien le faire. Même sans mots, il la comprenait mieux que n'importe qui. Malgré ça, elle aurait aimé pouvoir parler son langage, lui qui avait fait l'effort de parler le sien.

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant