Alors qu'Artémis laissait son regard se balader à l'extérieur, le silence de son nouveau psychiatre la rendait curieuse. Pourquoi ne disait-il rien ? Docteur Gresy commençait toujours à discutailler alors qu'elle n'était même pas installée.
Décidément, le dénommé Evan la portait de surprises en surprises. Elle s'était imaginé un vieil homme infantilisant, comme la précédente psychiatre. Mais lui... Dès le début, elle avait senti qu'Evan serait différent, et pas seulement par son âge. Son impression s'était confirmée lorsqu'il avait tenté de l'humour. À ce moment-là, Artémis avait dû partir au risque de sourire, ou pire, de rire de son petit jeu.
Maintenant qu'il adoptait le même comportement qu'elle, Artémis n'y tenait plus. Une gêne l'avait gagnée. Le silence, qu'elle adorait habituellement, devenait étouffant. Prise d'une légère panique, elle se retourna vers lui... Et se gronda elle-même.
Les yeux bruns de l'homme la dévisageaient sans scrupule. Il n'était visiblement pas embarrassé contrairement à elle. Quand un petit sourire amusé traversa le visage du psychiatre, elle ne put s'empêcher de lui accorder un regard plein de défiance et de colère.
Elle qui avait pris soin de garder la même attitude butée et indéchiffrable, cet homme la faisait réagir de manière étrangement inattendue. Comme il ne daignait pas prononcer un mot, elle décida de l'imiter et l'observer en retour.
Elle devait avouer qu'il était bel homme. Un nez droit et parfaitement dessiné, entouré de deux yeux sombres dont les longs cils lui conféraient un charme spécial. Ses lèvres, fines, semblaient quasi géométriques tant elles étaient parfaites. Sa mâchoire rehaussée d'une ombre légère, lui indiquait qu'il devait se raser chaque matin, faisant de lui un homme sans doute coquet. Puis ses cheveux, bruns et sans aucun gel ou artifice masculin de la sorte, lui retombaient dans la nuque d'une manière qu'Artémis ne pouvait que qualifier de délicieuse.
L'envie lui prit de dessiner cet homme. Elle voulait imprimer sur papier ce visage ciselé qui la mettait dans l'embarras. Elle voulait tenter de reproduire ses traits en sachant d'avance qu'atteindre la perfection lui serait impossible. Jamais elle n'avait ressenti ce besoin avec qui que ce soit avant. Sauf avec sa mère, mais c'était différent. Et puis, elle ne se souvenait pas du visage de la femme qui l'avait enfantée. Elle s'était simplement servie de photos dans des articles comme modèle.
La voix de l'homme interrompit ses pensées. Elle déporta donc son attention vers lui.
- Miss Spark. Arrêtez-moi si je me trompe. Vous avez été trouvée à l'âge de huit ans près d'un supermarché, sans famille ni personne à vos côtés. Prise en charge par votre famille d'accueil, les Spark, vous avez été placée en clinique de vos dix ans jusqu'à aujourd'hui. Dans le plus grand des silences.
Elle ne répondit rien. Il connaissait déjà tout d'elle, que rajouter de plus ? Mais ce qui l'avait marquée le plus, c'est qu'il l'ait appelée Miss Spark. Partout où elle allait, les gens l'appelaient Artémis. Comme si elle était une enfant avec qui ils s'autorisaient de nombreuses familiarités.
Inutile de nier, le docteur Evan prenait des points, et il semblait le savoir. Sa nonchalance parlait pour lui. Une fois de plus, les yeux du psychiatre étudièrent son visage, comme s'il cherchait à y déchiffrer un grand mystère. Sans doute en signe d'une approbation de la part d'Artémis.
Mais comme, évidemment, rien ne transparaîssait, il décida de continuer sa petite analyse.
- Prenons ça pour un oui, voulez-vous ? Bien attendez-moi ici.
À son grand regret, Artémis vit Evan se relever avec un sourire avant de partir de la pièce. Après quelques secondes, elle se leva à son tour et se posta dans le couloir, suivant la silhouette du psychiatre qui s'éloignait de plus en plus.
Elle resta plantée là sans rien faire pendant quelques minutes avant qu'il ne revienne. Dès qu'elle l'aperçut, elle se précipita dans la chambre et sauta sur le lit avant de prendre une expression indifférente. Inutile que cet homme se fasse des idées.
Quand il la rejoint dans la pièce, Artémis put constater qu'il avait rapporté quelques feuilles et tout un tas de crayons de couleurs. Évidemment... S'il savait pour le reste, docteur Gresy l'avait aussi briefé sur ses activités "artistiques".
Il déposa la boîte de crayons à côté d'elle et lui tendit une feuille blanche qu'il avait fixée à un support solide.
- J'aimerais vraiment avoir l'honneur de voir l'une de vos création, lui dit-il simplement.
Le visage d'Artémis s'assombrit. Il mettait tellement d'exagération dans sa demande que ça la rendait complètement ridicule. Elle ne devait pas se laisser faire. Tout ce que cet homme obtiendrait d'elle serait du refus, de l'obstination. Et pour finir, le même silence qu'elle avait accordé et accorderait à tout le monde.
Artémis lui prit la feuille des mains, songeant déjà à ce qu'elle dessinerait pour lui faire comprendre qu'elle ne voulait pas de lui ici.
Car c'était bien ce qu'elle voulait, qu'il parte. Elle ne voulait plus avoir affaire à lui ni à aucun psychiatre. À personne à vrai dire. À ce moment-là, son souhait le plus cher était de vivre sur une île déserte, entourée de sable et de mer, sans aucune forme de vie humaine pour venir l'ennuyer.
Mais le vœu d'Artémis ne se réaliserait pas. Pour la bonne raison que la société la considérait comme une marginale, une dégénérée et sans doute une malade mentale. Evan devait avoir la même opinion d'elle, probablement.
Les yeux de la jeune femme s'attardèrent vers ce dernier. Il l'observait tellement intensément qu'elle ne put supporter son regard plus de quelques secondes.
Alors Artémis sut ce qu'elle dessinerait.
Elle s'installa confortablement, cachant la surface de papier à Evan pour garder secret le dessin jusqu'à ce qu'il soit fini. Puis elle s'empara d'un crayon noir, dans la boîte à côté d'elle, et commença à dessiner.
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L'ange muette
RomanceArtémis ne parle pas. Elle n'est pas muette. Suite à un traumatisme d'enfance, elle a décidé de ne plus parler. Désormais, elle dessine pour exprimer ses sentiments et son histoire. N'acceptant l'aide de personne, elle ne montre jamais ses œuvres et...