Partie 22

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Sixième soir de guet pour Evan. Sixième soir qu'il rêvait de son lit comme de la terre promise. Les nuits semblaient durer une éternité et les matins quelques minutes. C'était le seul moment où il pouvait récupérer un peu de sommeil avant de filer au cabinet l'après-midi. Et malgré tout ce temps passé en embuscade, toujours aucun résultat. Au point qu'il commençait sérieusement à douter que l'homme revienne un jour. 

Peut-être même l'avait-il déjà manqué. Depuis quelques nuits, la fatigue lui rendait la tâche extrêmement difficile, et il devait lutter pour ne pas s'endormir au milieu du champ. L'odeur de terre qui l'entourait commençait à devenir insupportable. 

Un bruit l'interrompit dans ses pensées, et il regagna un peu d'énergie et de concentration. Faisant dépasser sa tête des hautes herbes, son regard se porta sur une petite forme humaine en bas du mur. Chevelue et frêle, celle-ci releva le menton, permettant à Evan de reconnaître sa jolie patiente. 

Toutes ces nuits blanches avaient-elles fini par le rendre complètement fou au point d'en avoir des hallucinations ? Ou faisait-il simplement un rêve après s'être accidentellement endormi  à la belle étoile ? Lorsqu'Emmy clopina difficilement sur quelques pas, il reprit ses esprit et courut jusqu'à elle. Elle devait être blessée. Est-ce qu'elle était tombée du mur ? C'était la seule explication possible, reconnut Evan après quelques secondes, ses capacités cognitives diminuées de moitié l'empêchant de réfléchir correctement. 

Lorsque le psychiatre lui barra le chemin, elle leva la tête vers lui et ses yeux s'illuminèrent comme un enfant qui aurait vu le Père Noël. Sa main tentait difficilement de soutenir un peu de son poids en se tenant au mur, qui ne lui était pas d'une grande aide. Evan tenta de concentrer toute son attention sur la situation présente. Il fallait la sortir de là rapidement, elle n'était pas en sécurité ici, surtout de nuit.

- Appuies-toi sur moi, tu es blessée, ordonna-t-il d'une voix qui ne souffrait aucune désobéissance en plaçant un bras autour de sa taille.

Emmy s'appuya sur son épaule et le suivit d'une démarche lente. Si lente qu'Evan avait tout le temps de sentir son odeur et la chaleur de son corps alors qu'ils n'étaient même pas à mi-chemin de sa voiture. Cette douce torture allait durer une dizaine de minutes s'il n'y mettait pas fin rapidement. Après avoir pris une grande inspiration, il s'arrêta et se tourna vers la jeune femme.

- Tu peux à peine marcher dans cet état. Je vais te porter d'accord ? N'aies pas peur. 

Après avoir reçu un signe de tête approbateur d'Emmy, il la souleva du sol et elle s'accrocha à son cou comme si elle craignait de tomber. Reprenant son chemin, cette fois plus rapidement, il songea que c'était bien pire désormais. Non seulement le parfum de la jeune femme continuait de l'énivrer, mais en plus le tissu de ses vêtements entre sa peau et les doigts d'Evan qui s'y enfonçaient semblait une barrière bien dérisoire. Le psychiatre n'était pas particulièrement croyant, mais s'il existait une divinité, il devait avoir fait quelque chose d'épouvantable pour être puni de la sorte. Le fait qu'ils soient tous les deux hors de la clinique et du cadre professionnel qu'elle offrait ne l'aidait pas à se calmer non plus. 

Une fois arrivés à sa voiture, Evan fit un dernier effort pour déposer délicatement sa patiente sur le siège passager avant de se mettre au volant et démarrer. Venait maintenant l'étape qu'il redoutait : la réprimande. 

- Emmy qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? Tu es en danger hors de la clinique, tu le sais non ? C'est grave ce que tu viens de faire là, la gronda-t-il d'une voix sombre. 

En jetant quelques coups d'œil à côté de lui, il constata que l'expression égarée qui habillait son visage depuis qu'il l'avait trouvée avait laissé place à de la tristesse, et peut-être un peu de honte à en croire ses yeux baissés et ses joues empourprées. Il n'eut pas le cœur de continuer à la rabrouer.

- Désolé, je ne veux pas te faire de peine mais comprends quand même que c'était risqué. Je te ramène chez moi d'accord ? Il faut que tu te reposes. 

Le trajet se déroula en silence jusqu'à l'appartement, où Evan dut réitérer l'exploit de la porter jusqu'à son lit sans perdre le contrôle de lui-même. Vraiment, tout ça ne pouvait être qu'une énorme blague, songea-t-il en observant sa patiente installée confortablement sur le matelas. La seule femme qui avait partagée ce lit était aussi la femme qu'il avait secrètement désirée ardemment depuis maintenant bien trop longtemps. Et sa présence entre ces draps n'avait rien à voir avec un quelconque désir, mais une histoire sordide.

Elle était si belle, rougissante de honte sous son regard, troublée de s'être faite attrapée en pleine tentative de fuite. Mais son regard brillait aussi d'émerveillement et d'admiration face à lui, qu'elle ne cherchait même pas à cacher. Evan se sentait comme un roi - non un dieu! - adulé par la plus délicieuse de toutes les prêtresses. Sa candeur et sa naïveté lui donnaient un sentiment de toute-puissance. Dans cet instant hors de temps et de l'espace, il se sentait comme un lion devant une biche. Devant une proie encore inconsciente du péril dans lequel elle se trouvait. Ignorante du fait que le prédateur qui la fascinait tant pouvait, d'un coup de dent, lui arracher son innocence. 

Désemparé par les pensées indécentes que la jeune femme lui inspirait, il détourna le regard, pris une profonde inspiration et tenta de se rappeler avec force son éthique de psychiatre et le code déontologique auquel il devait se soumettre. Il était simplement fatigué, ça irait mieux demain. 

- Montres-moi où est-ce que tu t'es fais mal d'accord ?

Emmy lui indiqua sa cheville droite, et Evan entreprit d'enlever la chaussure de sa patiente pour l'examiner.

- Je jette simplement un coup d'œil, l'informa-t-il en essayant de ne pas s'attarder sur la douceur de sa peau qu'il sentait sous ses doigts.

D'un air soucieux, il constata que sa cheville avait pris un ton mauve, et qu'elle avait légèrement gonflé.

- Je pense qu'elle est foulée. Demain il faudra la faire examiner par un généraliste.

Il reposa délicatement la jambe d'Emmy et la borda avec la couverture.

- Dors maintenant, il faut que tu te reposes. Je serai à côté si tu as besoin de quelque chose. Et surtout n'essayes pas de marcher toute seule, appelles-moi si tu veux te lever. Bonne nuit.

Après avoir longuement hésité, il appuya ses instructions d'un rapide baiser sur son front avant d'aller s'installer dans le canapé.

Malgré tout, il ne parvint pas à trouver le sommeil. Il ne savait pas pourquoi elle avait voulu fuir de la clinique, et qui sait si elle ne tenterait pas non plus de s'échapper avant qu'il ne la ramène le lendemain ?

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant