Partie 31

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Bien qu'Emmy adorait cet endroit, elle ne pouvait pas dormir ici. Pas qu'elle n'en eut pas envie, seulement les poutres en bois qu'elle distinguait au plafond lui rappelaient celles de la cave. Et elle n'aimait pas ça. Elle les voyait s'enflammer en un brasier terrible. Avec un soupir de lassitude, elle se traîna à cloche-pied jusqu'à la fenêtre, qu'elle ouvrit pour profiter de l'air frais de fin de soirée. Elle n'aimait pas se déplacer avec ses béquilles qui cliquetaient à chacun de ses pas, avertissant bruyamment tous les gens autour d'elle de son arrivée. Elle préférait la discrétion. 

De la fenêtre, elle pouvait apercevoir le jardin des Collins, et un peu plus loin, le commencement d'un petit bois. Demain peut-être irait-elle s'y balader. Elle n'avait pas la chance d'avoir ce genre de chose dans le parc bétonné et assaisonné de quelques buissons rabougris de la clinique. Et puis ici au moins, Emmy était sûre que son père ne viendrait pas la déranger pendant la nuit.

Depuis cette fameuse soirée où elle avait retrouvé la parole, elle n'avait pas eu de nouvelles de son géniteur. Elle se doutait qu'il s'était fait attrapé bien sûr, plusieurs personnes l'avaient poursuivi, et il n'avait nul part où se cacher. Mais elle ne savait pas ce qu'on avait bien pu faire de lui ensuite. Elle n'avait pas osé poser la question à Evan, à supposer qu'il le sache pour commencer. Même si ce n'était pas directement sa faute, elle se sentait coupable pour sa blessure. 

Elle repensa au moment où elle avait vu le bandage sous sa chemise. Où elle avait entrevu sa peau une demi seconde, et qu'elle avait apprécié. Le rouge lui monta aux joues rien qu'au souvenir, et elle se cacha le visage dans ses mains, gênée pour une raison qu'elle ignorait. Mais en y réfléchissant, n'était-ce pas exactement ce qu'il lui avait expliqué ? L'attirance physique de l'amour passionnel. Elle l'avait toujours trouvé incroyablement beau, mais jusque là elle ne s'était pas posée de questions. D'ailleurs, il n'y avait pas que ça. 

Elle retourna s'assoir sur le lit, perdue dans ses pensées. C'est vrai qu'elle avait difficilement supporté le mois durant lequel il s'était absenté. Et de manière générale, elle n'aimait pas quand il repartait après une de leurs séance. Est-ce que ça voulait dire qu'elle était amoureuse de lui ? Anxieusement, elle tritura la couverture de son lit sous ses doigts. Comment savoir si elle n'était pas malade elle aussi ? Evan avait appelé ça le syndrome de Stockholm. Comment pouvait-elle être sûre de ne pas en souffrir ? Les sentiments qu'elle éprouvait semblaient bien réels, mais encore une fois, ceux de sa mère pour son père également. 

Elle était tellement ignorante sur le sujet qu'elle ne pouvait même pas reconnaître ses propres sentiments. Du dos de la main, elle essuya rageusement une petite larme solitaire qui coulait silencieusement sur sa joue. Ce n'était pas si terrible, tenta-t-elle de se persuader. Elle était encore jeune, elle avait le temps d'apprendre. Elle serait un peu en retard par rapport au reste du monde, et alors ? Après tout, ça pouvait être bien pire. Si la maison de son père n'avait jamais brûlé, elle serait encore enfermée à la cave avec sa mère. Elle n'aurait connu ni Evan, ni la réalité du monde qui l'attendait dehors.

Et elle en savait encore si peu. Troublée de toutes ces angoisses qui venaient perturber sa soirée, elle décida que le mieux était encore d'en partager quelques unes avec la personne concernée. 

Elle se déplaça à cloche pied jusqu'à la porte, qu'elle entrouvrit. Elle pouvait entendre Félicie et André discuter et s'activer dans la cuisine. De là où ils étaient ils ne pourraient pas la voir. Elle sortit de sa chambre et referma silencieusement derrière elle, avant d'entrer dans celle d'Evan aussi rapidement qu'elle le pouvait.

Paniquée à l'idée qu'on puisse l'avoir entendue, elle referma la porte aussi vite et silencieusement que possible et appuya son dos au battant en bois pour laisser reposer sa jambe qui commençait à chauffer de l'exercice.

- Emmy ! Qu'est-ce que tu fais là, je ne suis même pas dans une tenue décente, l'interpella la voix outrée d'Evan. 

Dans la semi obscurité de la pièce, elle constata qu'il s'était redressé dans son lit et que seules ses épaules nues dépassaient de la couverture avec laquelle il cachait le reste de son corps. En voyant qu'elle ne comptait visiblement pas repartir de si tôt, il soupira et se passa une main dans les cheveux. 

- Bon tourne toi que je m'habille convenablement au moins.

Emmy obéit et fit face à la porte. Après avoir entendu quelques froufrous, elle ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil. Il avait enfilé un jean et venait de prendre un haut dans son sac. Même s'il n'était que de profil, elle remarqua que son bandage avait laissé place à un grand pansement, mais qui ne faisait plus le tour de son ventre. 

Lorsqu'il enfila le vêtement, elle fut captivée par les muscles de ses épaules qui lui offrirent un spectacle délicieux avant qu'ils ne soient caché du tissu. Elle dévia précipitamment son regard vers la porte lorsqu'il se retourna pour lui faire face. 

- C'est bon maintenant. Alors dis-moi, ça ne va pas ?

Emmy se tourna une nouvelle fois pour appuyer son dos à la porte et être face à lui, tandis qu'il s'approchait d'elle. 

- Je n'aime pas la chambre, murmura-t-elle penaude. 

Elle n'avait pas du tout l'intention de critiquer la décoration de Félicie qui était tout à fait mignonne d'ailleurs. C'était simplement ces satanés poutres en bois. 

- Elle ne te plaît pas ? Si tu veux je peux demander à ce qu'on t'en attribue une autre, proposa le psychiatre dubitatif.

- Je n'aime pas les poutres en bois. Elles me rappellent la cave. 

Cette déclaration fut accueillit par un regard voilé de tristesse d'Evan. Puis il leva les yeux vers celles qui étaient à son propre plafond. 

- J'aimerais pouvoir t'aider mais il y en a dans quasiment toutes les pièces de cette maison. Je peux faire quelques chose quand même ?

Emmy réfléchit quelques secondes et hocha la tête. 

L'ange muetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant