L'Étui Vide [Terminé]

𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏𝟗 : 𝐋𝐚 𝐩𝐚𝐫𝐭 𝐞𝐧𝐜𝐡𝐚𝐧𝐭𝐞𝐫𝐞𝐬𝐬𝐞 𝐝𝐞 𝐥'𝐚𝐮𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧𝐝𝐞

Le Tennessee Williams' Grand Theatre était un site gigantesque, luxueux, et moderne. Ce n'était pas pour rien qu'Ezra y avait organisé le gala d'Edge's Editions l'année de son introduction en bourse : outre les représentations de ballets, opéras, et pièces théâtrales, les lieux accueillaient les rassemblements privés de ceux prêts à mettre le prix nécessaire à marquer les esprits.

Aujourd'hui, il y misait pour marquer celui de sa compagne, comme celui de tout individu avisant de leur présence. Le cadre était magnifique, les convives triés sur le volet, et les opéras réputés rendez-vous romantiques. Mais rien – Rien ! – n'égalait la beauté sensible de l'invitée à son bras.

Si être entouré de gardes du corps fait toujours son effet (quand bien même leur rictus absorbé serait-il dissimulé par leur masque médical), c'est au-delà de ce rempart musclé que les regards se portèrent à leur traversée du lobby. Jamais l'éditeur n'avait été si fier d'être accompagné. Ni aussi envoûté par le charme d'une femme. A elle seule, sa démarche revêtait d'une élégance naturelle parfaitement ensorcelante. Il ne pouvait empêcher ses yeux de se baisser sur elle, ou sa main de se poser sur celle sous son bras, prête à la retenir à la moindre impulsion de fuite.

Il la contemplait avidement tandis qu'elle détaillait chaque recoin dans une adorable curiosité émerveillée. « Ça te plaît ? » Elle leva un regard souriant vers lui. « C'est enchanteur ! agréa-t-elle avec emphase.

— Un cadre qui te convienne parfaitement, dans ce cas. »

Elle haussa un sourcil aussi amusé que perplexe. « Tu vas vraiment me faire le coup de la flatterie ?

— Tu as raison : je vais me contenter d'apprécier ce qui se passe de commentaire. »

Elle secoua la tête d'un air affligé, mais il lui sembla discerner les abords du masque se farder de trouble.

Un homme d'un âge respectable s'approcha d'eux, l'air mal à l'aise face aux vigiles armés. « Monsieur, veuillez m'excuser, interpella-t-il. J'ai pour consigne de rappeler à quiconque que le masque est obligatoire dans l'enceinte publique du théâtre. » Pour toute réponse, Ezra dénuda son poignet où apparut un bracelet d'acier brossé. D'abord surpris, l'homme en livrée dégaina une sorte de scanner pour puces d'animaux qu'il passa à quelques centimètres de la gourmette. Après un bref coup d'œil à l'écran, il s'excusa platement en lui donnant du "Monsieur Edge". « Puis-je me permettre de vous guider jusqu'à votre loge ? » Ezra l'invita à les précéder d'un geste royal, et réajusta la prise de la jeune femme dans le creux de son coude.

« C'est un bracelet médical, comprit-elle.

— Pour les immunisés, opina-t-il. Ils sont exemptés du port du masque sur tout le territoire américain.

— Pourquoi ne font-ils pas un système équivalent pour les vaccinés ?

— Le Congrès y a pensé, mais tous les vaccins et autres thérapies vaccinales ne se valent pas. Bizarrement, le Sénat a considéré que marquer chaque américain selon le vaccin qu'il est capable de s'offrir n'était pas très constitutionnel !

— Je n'y avais pas pensé...

— Tous les pays ne sont pas sur un pied d'égalité vis-à-vis du virus, excusa-t-il. En subventionnant totalement la recherche d'un vaccin, l'Écosse en a fait propriété de l'État, gratuit et obligatoire. Chez toi, le masque est obligatoire quoi qu'il en soit. Au moins, cela évite les discriminations. Ici, je suis à la fois très mal vu et très bien reçu. Si être immunisé n'est pas un signe de richesse, c'est indéniablement un signe de privilège. »

Même après l'avoir dévisagé, Élise n'aurait su dire s'il en était contrarié ou satisfait.

Ils remontèrent un couloir au tapis étouffant leur pas. Au bout, un autre couloir en impasse protégé d'un ouvreur desservait les loges. Par-delà, le couple pouvait percevoir les notes harmonieuses des derniers préparatifs de l'orchestre.