L'Étui Vide [Terminé]

𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟑𝟔 : 𝐁𝐚𝐦𝐛𝐢 𝐞𝐬𝐭 𝐭𝐞𝐫𝐫𝐢𝐟𝐢𝐚𝐧𝐭

« Tu sais, Edge, dans la plupart des pays européens, tu ne peux pas soustraire un gosse à sa scolarité sans rendre des comptes, ironisa son interlocuteur.

— Je croyais parler à un avocat, non à Jiminy Cricket, rétorqua Ezra, le dossier du fauteuil de bureau dangereusement penché en arrière.

— À ma décharge, je ne pensais pas devoir sortir mes livres de Droit de l'Enfance en appelant pour savoir si tu venais à la Communication. »

L'éditeur soupira avec contrition et son siège se redressa dans un crissement de cuir. « Désolé Azem. » Un silence s'imposa sur la ligne. « Quoi ?

— Les excuses ne font pas parties de tes réparties ! Qu'est-ce qui se passe, Ezra ? fit Ibrahim dans le plus grand des sérieux.

— Rien, rien. T'inquiètes..., assura-t-il en frottant la ride soucieuse de son front. Excuse-moi auprès de nos Frères : je ne pourrai pas être présent à la Loge durant un moment. »

Après un bref nouveau mutisme où l'avocat anglais cherchait à savoir s'il devait insister, il renonça : « Bien... Attends-toi à des remontrances de la part de Rudyard. N'hésite pas à lui rappeler qu'il a manqué pas mal de cérémonies par le passé.

— Je n'y manquerais pas. »

Il allait adresser quelques politesses et raccrocher, mais son ami se décida à apporter les éléments qu'il possédait : « Je sais qu'un changement d'adresse justifie une absence scolaire. Tu gagnes le temps de lui trouver un nouvel établissement. »

Domicilier Valentin et sa mère avec lui... Une solution si simple qui lui ôtait une sacrée épine du pied. Ses bureaux étaient saccagés par les manifestations successives ; les enclos d'hiver étaient en aussi piteux état que les clôtures des pâtures d'été sans qu'aucun entrepreneur ne semble enclin à prendre le contrat de rénovation ; on annonçait l'hiver le plus rude des deux derniers siècles avec tempête en approche ; et sa femme au tempérament toujours aussi imperméable, dormait vingt heures par jour ; mais enfin ! il avançait sur quelque chose.

Sans signe avant-coureur, l'émotion étrangla son cœur à faire grimper l'eau à ses paupières. Il avait ignoré être si proche de ce bout du rouleau ! « Merci, Ibrahim, fit-il sans honte pour le tremblement de sa voix.

— Ne fais pas "une Rudyard", conseilla l'homme. Viens à la Communication. Quoi qu'il se passe, nous trouverons des solutions.

— Ma situation n'a rien à voir avec celle de Rudy à l'époque. Je me fiche que vous supportiez ma mauvaise humeur ! Je ne me cache pas ; ma place est simplement ici.

— Bien... répéta l'avocat – typique d'Azem. Nous nous passerons de tes traits d'esprit provocateurs lors des prochaines Agapes. Mais nous sommes là au besoin. »

Les platitudes de rigueur purent se dérouler. Et Ezra retrouva le silence intact de son bureau. La tranquillité ne dura que le temps qu'il se rende compte, que pour un changement de domicile, Élise devrait probablement être consultée... « Fuck ! »

Le dossier de son siège pivota sous le poids de son défaitisme résigné avant de se redresser d'un coup à son impulsion. Il quitta le bureau et traversa le salon privé jusqu'à la porte de la chambre. Depuis le passant laissé bée pour lui permettre d'entendre sa femme au besoin, il contempla le pâle visage à demi disparu dans le moelleux de l'oreiller.

À peine cinq petites années les séparaient, et elle en avait vu des durs par le passé. Elle avait pourtant l'air si jeune et fragile. Une gamine abandonnée.

Ce n'était là qu'une apparence : des deux, il était le gamin qui courait en rond les bras en l'air de ne pas savoir comment éteindre le feu qu'il venait de foutre aux tentures ! Élise, elle, était le flegmatisme même. L'exigence qu'elle avait pour elle-même était son seul point faible. Et c'était bien en cela que sa convalescence serait longue : par sa faute. Il était le point faible de cette tragédie. Parce qu'elle aurait toujours plus de peine pour lui que pour elle-même.