𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒𝟎 : 𝐄𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫𝐭𝐚𝐧𝐭, 𝐩𝐞𝐮𝐭-ê𝐭𝐫𝐞, 𝐬𝐢, 𝐩𝐫𝐨𝐛𝐚𝐛𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭

69 7 1
                                    

Installé sur le tapis entre deux fauteuils bergères, Valentin suivait le plan de montage des blocs de construction qu'il avait reçu. De temps à autre, il s'emparait de son carnet et de son bic quatre couleurs pour prendre des notes. Il améliorait sans relâche le projet gardé secret de son livre. Il n'était pas suffisamment satisfait pour en tirer la version définitive. Mais il progressait.

Le regard vaguement fixé à l'enfant, le crayon oscillant distraitement entre ses doigts, Ezra tambourinait en rythme la page 368 du manuscrit.

Il travaillait mieux avec une ambiance sonore. Le brouhaha d'un open space ou n'importe quel fond musical faisait l'affaire. Le silence l'empêchait de se concentrer. Pourtant, il n'arrivait à rien cet après-midi.

Une vingtaine d'éditrices et éditeurs l'avaient rejoint dans l'enfilade de salons cernant la grande bibliothèque qui, pour l'occasion, se transformait en bureau communautaire. Des manuscrits plein les valises, ils avaient fait le voyage depuis les États-Unis ou ailleurs et logeraient en ses murs pour une quinzaine encore.

Il ne s'agissait pas d'une singularité. Blackedge accueillait nombre de ses collaborateurs. Beaucoup plus qu'en sa demeure d'Atlanta, fatalement.

Ces rassemblements à l'écart du monde offraient des heures d'une grande productivité en amont des dates clefs des plus grosses parutions de l'année, et l'opportunité d'accointances entre équipes. Un team building, où les amitiés tissées se retrouvaient tant autour d'une tablée chargée de plats du chef que de débats enflammés au-dessus de futurs publications.

Et pourtant ! Il ne parvenait, ni à se focaliser sur sa tâche, ni à se laisser distraire par les conversations le temps d'être capable d'y retourner.

Depuis que sa femme et lui avaient ouvert un dialogue à bâtons rompus, il était beaucoup moins angoissé. Il se tenait à sa résolution de laisser faire le temps sans plus chercher à précipiter l'avenir.

Mais, voilà : il y avait Albine. Championne des séjours impromptus !

Pour une fois, Ezra n'aurait rien eu à y redire (Il lui avait suffi de constater l'entente entre les deux femmes pour lui passer son arrivisme.) si seulement cela n'avait justement précipité les choses.

Avec cette arrivée surprise et en égard des termes de la comédie qu'elle avait signés, son épouse était contrainte de parer à nouveau sa phalange de son alliance.

Il aurait simplement dû en être heureux, aussi reconnaissant que lorsque la présence de sa demi-sœur avait obligé Élise à partager sa chambre. Sauf qu'il ne pouvait ignorer comment cela s'était à lors fini.

Il s'affolait peut-être pour une broutille. Peut-être Élise avait-elle sauté sur l'excuse qu'elle cherchait pour replacer sa bague. Ou peut-être tout reprendrait-il son ordre une fois le manoir vidé de ses invités.

Si on considérait que l'annulaire déshabillé de sa femme soit la normalité ! Si on considérait le contrat viable. Si on considérait qu'il veuille y revenir.

Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'une occasion se présentait à lui. Quel prix devrait-il payer pour en bénéficier ? D'un côté, il ne voulait rien brusquer ; de l'autre, il s'agissait de la prolongation de la mise à plat amorcée. Le présent excluait-il de penser au futur ?

Intellectualisait-il à outrance ?

Probablement.

Le tiraillement n'en était pas moins concret.

Il inspira profondément et se redressa au-dessus du bureau baignant dans la lumière du jour, entre les canapés où lisaient et discutaient des employés (à portée de l'oreille attentive de Val), et les longues tables de travail investies par les piles de manuscrits, ordinateurs portables, fiches techniques, et plannings. Un peu à l'écart des uns et des autres. Quand bien même appréciait-il être spectateur des allées et venues par les portes ouvertes face à lui, sa tâche de responsable exigeait un minimum d'espace dédié.

L'Étui Vide [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant