𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓 : 𝐕𝐚𝐥𝐞𝐧𝐭𝐢𝐧

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L'immeuble de rapport était l'archétype de ces anciennes constructions au clivage social vertical. Penché sur le tableau de bord pour mieux contempler l'édifice à travers le pare-brise, Ezra jugea les moulures intactes de la façade et les ferronneries lustrées des garde-corps aux deux étages à balcon. « Quel niveau ? questionna-t-il.

— Deuxième. Ou plutôt troisième selon le comptage anglais. »

L'homme lâcha un sifflement admiratif persifleur. « Le plus luxueux. Et je parie qu'il ne te donne pas un balle pour l'éducation de votre fils. »

Élise se tût. Si elle ne pouvait pas empêcher Victor de voir Valentin un week-end par mois comme il l'avait demandé à l'amiable, elle ne voulait rien devoir à son ancien tortionnaire psychologique. Quémander chez lui aurait prouvé qu'elle avait encore besoin de lui. Après être parvenue à le quitter, elle se le refusait. Que son ex lui reproche le train misérable qu'ils avaient vécu ensemble et dont il se gorgeait d'être sorti à leur séparation, était pour elle un mal négligeable.

« Touché ! » fit Ezra en français comme elle ne répondait pas.

La jeune femme ouvrit la portière et l'homme l'imita. « Vous ne venez pas avec moi, clarifia-t-elle.

— Non, non, assura-t-il. Je vais juste fumer en t'attendant. »

Elle lui jeta une œillade suspicieuse à laquelle il sourit innocemment. Il lui emboîta le pas jusqu'au perron en sortant nonchalamment l'étui à cigarettes. Il lui tourna le dos tandis qu'elle sonnait. « Ouais ? C'est qui ? répondit l'interphone alors qu'Ezra tentait d'allumer le briquet sous le paravent de sa grande main.

— C'est Liz. Comme tous les foutus derniers dimanches du mois à quinze heures..., ajouta-t-elle à voix basse en omettant le "connard" qu'elle pensait. »

La serrure lâcha son agaçante vibration de déblocage. Elle poussa la lourde porte en jetant un regard à l'homme totalement concentré sur la pierre peu encline à émettre l'étincelle désirée. Elle entra.

Prompt, Ezra glissa la pointe de sa chaussure dans l'entrebâillement sans cesser de faire claquer le briquet à vide, au cas où la jeune femme l'avait surveillé par la vitre. Mais non, elle prenait directement les escaliers comme si elle avait hâte d'en finir mais pas au point de prendre l'ascenseur.

Il la suivit, sans bruit sur les pavés qui répercutaient les claquements du déplacement d'Élise. Lorsqu'elle s'arrêta, il en fit de même. Il s'appuya au mur entre deux étages et joua avec la cigarette éteinte en patientant.

Il n'éprouvait aucun remord à l'espionner. Non seulement parce qu'il se sentait le droit de mieux juger à qui il avait à faire s'il devait lier cette vie à la sienne, également parce qu'il se sentait le devoir de chaperonner la jeune femme. L'idée de la laisser rencontrer seule ce type lui était instinctivement inacceptable. Certes, Élise ne l'avait pas attendu pour le faire durant des années. Ce n'était pas une raison suffisante à le dissuader : est-ce que les écossais ont continué de se laisser tremper par la pluie après la commercialisation du Mackintosh ?! Nae, they didnae, lass !

« Maman ! s'écria gaiement un enfant en même temps que saluait vaguement une autre voix gutturale.

— Salut, chaton. Tes affaires sont prêtes ?

— J'y vais de suite... »

Après un bref silence, Élise baissa d'un ton, mais sa voix se répercuta parfaitement dans l'écho de la cage : « Tu pourrais une seule fois lui faire ranger ses affaires avant que j'arrive ?

— Si ça peut lui faire gagner cinq minutes loin de sa misère, non. »

Ezra leva les yeux vers les profondeurs proprettes de l'étage, l'œil tiquant, mais resta où il se trouvait.

L'Étui Vide [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant