« J'ai toujours fait comme ça. »
Lewis se prit les cheveux à deux mains. Il allait craquer ! « Et ça fait des semaines que je vous dis que maintenant, ce n'est plus d'actualité ! Je me fiche de la façon bordélique dont vous travailliez avant que je n'arrive. Je suis ici pour remettre de l'ordre, et vous allez vous plier aux nouvelles règles. »
L'employé laissa échapper une grimace dédaigneuse. Il avait deux fois l'âge de ce supérieur de pacotille, et autant en expériences à plus de fonctions qu'il n'en verrait jamais. Ça le débecquetait de devoir s'écraser devant ce petit con ignorant.
Face à lui, le nouveau chef de l'édition de la filiale allemande n'en pensait pas moins. Il en prenait vicieusement plein la gueule depuis des semaines, de la part de vieux branleurs tel que celui dont il venait d'envahir le bureau.
Pas au boulot, pas en public Lee...
Mais putain, il commençait à sentir sa politesse se barrer en couille. Il en avait ras le cul de laisser le bénéfice à ces connards empotés outrecuidants.
Il posa la liasse sur le bureau de son incapable propriétaire. « La liste de mots-clés a été étudiée pour être la plus claire, neutre, et fonctionnelle possible, dans toutes les langues de publication. Elle sert à faciliter le travail de la personne qui récupérera le manuscrit après vous. J'en n'ai rien à cirer que vous trouviez pertinent de réduire un héroïne à "blondasse" ou un caractère à "mollasson-jean-foutre" ! Refaites-moi ça en utilisant les mots-clés, ordonna-t-il. »
Il tourna les talons, mais put parfaitement entendre le marmonnement du vieux : « On n'avait pas besoin de foutus mots-clés lissés dans les vraies maisons d'édition.
— Sûr ! jeta-t-il par-dessus son épaule. Et combien de ces vraies maisons d'édition t'as vu couler et être absorbées par Edge Editions, eejit* ?! »
Il claqua la porte sans voir le doigt d'honneur qui lui répondait. « Lavvy heid !* » siffla-t-il en même temps que l'autre grondait un « Leck mir am Arsch !* ».
Il remonta le couloir, la démarche souple et rapide. Il songeait de plus en plus sérieusement à s'inscrire à n'importe quelle compétition de cross. Il n'en pouvait plus du rythme de la ville, à la fois effréné pour l'âme et physiquement complaisant. Il avait besoin de retrouver la rigueur de l'entraînement et du régime ; se dépenser en sachant où allait son énergie ; se recentrer sur lui-même.
« Mon prochain rendez-vous est-il arrivé ? jeta-t-il sans ralentir à l'un des secrétaires du bureau d'accueil de l'étage.
— Oui, monsieur. Mais je dois vous dire...
— Plus tard !
— Monsieur Edge !
— Quoi ?! s'impatienta-t-il en même temps qu'une autre voix plus grave répondait patiemment d'un "bonjour". »
Il se retourna. Une dizaine d'hommes et femmes tirés à quatre épingles quittait le sas des ascenseurs. Comptables et gestionnaires de la succursale, principalement. Et à leur tête, son cousin, encadré de ses habituels gardes du corps. Il ne manquait plus que ça !
Au milieu de sa suite masquée empressée, Ezra s'immobilisa devant l'accueil en croisant le regard de son cadet. Une joie timide s'alluma au fond des yeux d'un même bleu. Il adressa un message muet à ses gardes et pivota vers lui sans escorte. Fait chier !
Il approchait, et Lewis ne pouvait plus retenir sa grimace hargneuse en notant les indices des tourments de son cousin. Deux mois et demi plus tôt, il avait encore l'air d'avoir plus d'un pied chez les jeunes adultes. Il semblait à présent bien engagé sur la voie des plus belles années de la maturité. Le pli de ses lèvres et sa ride du lion étaient plus tranchés. Son regard déjà aiguisé était devenu dur. La fatigue des épreuves accusait ses traits et ses orbites. Sa démarche et sa posture très raides dénonçaient les souffrances de la résurgence de sa maladie infantile.
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L'Étui Vide [Terminé]
RomanceEzra ne passait déjà pas une bonne journée avant que ce malheur de comédie ne lui tombe dessus. Son conseil d'administration lui mettait la pression, et il risquait à présent d'être en retard à la répétition du mariage de sa demi-sœur. Il regrettait...