Lewis fut accueilli par une façade sombre et des pièces plongées dans le noir. La maison était étonnement silencieuse. « Allo ?! » clama-t-il dans le hall. La résonance de sa voix fut la seule réponse. « Accueillant, dis-donc ! » maugréa-t-il.
Son sac de linge sale jeté sur l'épaule, il se dirigea vers la cuisine. Premier arrêt obligatoire ! Le vendredi soir, Élise ne manquait pas de lui préparer tout spécialement un énorme morceau de barbaque lorsqu'il venait. Puis y'avait ses gratins ! Que du frais, dans cette Amérique initiatrice de la malbouffe. Ses papilles nostalgiques du pays en étaient déjà aux anges.
Oui, il aimait tendrement Élise. Mais plus elle vivait parmi eux, plus elle ajoutait de cette pincée magique qui faisait la base de tout foyer, moins il voyait la sensualité qui se dégageait d'elle. Elle devenait la femme à respecter, celle de la maison. Celle sur qui tout reposait. Éminente. Plus intimidante pour lui et son inexpérience.
C'était un sentiment réconfortant. Agréable. Être attendu. C'était probablement ce que devait ressentir tous les étudiants du monde en rentrant chez leurs parents pour les vacances, mais pour sa part, il n'avait aucun souvenir de ce genre. Il avait toujours pu compter sur Ezra, bien entendu. Mais à eux deux, ils dénombraient tous les critères d'une famille dysfonctionnelle prête à se lancer sur le marché de l'héroïne ! plutôt que les caractéristiques du foyer de sitcom américaine.
Dans le couloir menant à l'antre de la jeune femme, il s'immobilisa. Pas une voix, pas une lumière de ce côté non plus. Un seul rai de clarté filtrait sous une porte. Celle du salon. Il poussa le battant. La boutade qu'il s'apprêtait à jeter mourut sur ses lèvres.
En une seconde, une vue d'ensemble s'était inscrite derrière ses yeux. Son sourire et son entrain disparurent. Un détail, une broutille, l'avait heurté. Sur la table basse.
La vodka.
Pas n'importe quelle vodka.
Cette vodka.
Une bouteille entamée. L'autre pleine. Pour le peu qu'il se souvenait de l'époque chaotique de son enfance, il se rappelait parfaitement des circonstances où il les avait vues.
A l'époque, cela faisait plusieurs années que sa cousine et ses cousins vivaient pratiquement à temps plein chez leur grand-mère avec lui et sa mère. Sa mère travaillait beaucoup, et sa tante... De sa tante, il savait seulement qu'elle allait et venait. Il ne se souvenait que de l'expression de son visage lorsqu'elle souriait. Elle était douce.
Comme il arrivait à tous les gosses de le faire à un moment de leur développement, Lee collait particulièrement aux bask' d'Ezra depuis son rétablissement miraculeux. Tout ce qu'il faisait lui semblait incroyablement intéressant. Un sentiment qu'il avait continué d'éprouver durant de très nombreuses années.
C'est pourquoi il avait été seul à savoir, et par la suite, à comprendre la raison qu'avait son grand cousin de se relever discrètement chaque nuit. Dans les ténèbres de la petite maison, Ezra ouvrait l'armoire interdite – celle des détergents –, et y piochait une bouteille. Il s'asseyait sur le carrelage glacé, adossé à la machine à laver. Il la regardait longuement. Il ouvrait le goulot. Yeux fermés, comme en transe, il humait le liquide. Mais jamais il n'en buvait. Ensuite, il rangeait tout et retournait se coucher auprès de son frère.
A un moment où un autre, c'est par ce rituel nocturne que Lee comprit qu'Ezra savait que sa mère s'en était allée pour ne jamais revenir. Elle était morte. Lewis n'avait jamais su de quoi. Il n'avait jamais osé poser la question.
Plus tard, Ezra avait été embarqué par son père, mais à chaque fois qu'il était revenu pour les fêtes ou les vacances, il s'était adonné à la même étrange tradition. Et lorsque leur grand-mère lui avait sommé de ne plus s'occuper d'eux, d'arrêter d'essayer de leur envoyer de la nourriture ou de l'argent, de vivre sa vie sans regarder en arrière, il était parti. Avec les deux bouteilles. Celles que sa mère n'avait pas eu l'occasion de boire.
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L'Étui Vide [Terminé]
RomanceEzra ne passait déjà pas une bonne journée avant que ce malheur de comédie ne lui tombe dessus. Son conseil d'administration lui mettait la pression, et il risquait à présent d'être en retard à la répétition du mariage de sa demi-sœur. Il regrettait...