Ezra échafauda des plans toute la nuit – tordus, irréalisables, ou juste crétins –, qu'il raya les uns après les autres. La tête encombrée de ses grotesques projets, il se rabattit sur celui que Valentin peaufinait depuis sa découverte des presses typographiques et autres machines d'impression de la dépendance de Blackedge House.
Dès l'enfant levé et prêt, l'homme s'intéressa à ses avancées et l'y relança. Ils y passèrent le plus clair de la journée, enfermés dans le bureau devenu zone de guerre. Élise respecta leur entente sans tenter de les surprendre ou de les suspendre en dehors de collations prises à la va-vite.
Derrière le bouclier du projet de Valentin, Ezra put s'investir à éviter sa femme.
Car oui, il évita le tête à tête jusque la nuit durant. Comment aurait-il pu en être autrement, quand la simple vue de sa silhouette lui rappelait ce qu'il désirait instinctivement (ou devrait-il dire, animalement) depuis la plus infime parcelle de ses entrailles ? Tant que ses hormones ne seraient pas calmées, il ne pourrait trouver le repos des siennes... si il le trouvait jamais !
La jeune femme fut donc esseulée dans le lit froid de l'éditeur. Après les manigances qu'il avait élaborées pour qu'elle s'y trouve, elle ne comprit pas. A son tour, elle dormit bien mal, dans la solitude et la tourmente.
Les premières lueurs du jour firent succomber les dernières traces du faible espoir éveillé malgré elle durant leur merveilleuse soirée. Elle avait oublié la franche connexion et la passion des baisers pour se persuader que tout n'avait bel et bien été que comédie. Ezra ne s'était montré tendre et empressé que par de nouvelles combines, pour la mettre en confiance, la détendre, la faire dévoiler la meilleure image possible devant l'audience qu'il souhaitait conquérir ce soir-là. Rien d'autre qu'une autre façon d'arriver à ses fins ; il avait lesté de pierres l'étui sans guitare pour le rendre plus crédible.
Alors qu'un simple geste de la part de l'éditeur aurait suffi à maintenir la flamme vive, elle fut convaincue de son erreur, se trouva idiote d'y avoir cru, d'en avoir profité. Devant le miroir, en caressant la laideur de son profil indigne, elle se fit honte. Comment avait-elle pu afficher ce marquage humiliant comme s'il n'avait jamais existé ? Comment cet homme était-il parvenu à le lui faire oublier ?
L'image qu'elle avait d'elle s'était déformée durant la nuit pour la présenter sous des traits clownesques et vulgaires, mal maquillée, vêtue d'un habit qui ne lui appartenait pas. Une poule d'occasion.
Bon sang, elle avait même posé avec lui comme une parfaite bécasse ! A quoi ces photos devaient-elle ressembler : elle, balafrée, si pathétique dans cette robe plus chère que le capital de son assurance vie, et lui, dont le prestige du nom rivalisait avec celui de son physique viril ?
Elle s'était ridiculisée devant tous, à tomber encore dans le même panneau.
Sa main rejoignit mollement le long de son corps. Parce que si elle la gardait plus longtemps sur sa joue, elle pourrait bien avoir envie de tout l'en arracher.
Entre dégoût de soi et défaitisme, comment rebondir après une introspection aussi caustique ? De la même façon qu'elle le faisait chaque jour : en pensant à ce qu'elle devait faire pour débuter la journée de Valentin plutôt que la sienne. Rester en mouvement, toujours.
Alors qu'elle pensait commencer par l'éveiller en douceur, elle ne découvrit qu'une chambre vide. Une de plus désertée !
Elle descendit sans croiser âme qui vive. Elle poussa bientôt la porte de la cuisine d'où montait quelques éclats de voix qui se turent instantanément. Alertée par le subit mutisme, fronçant les sourcils sous le double regard bleu d'Ezra et Valentin, elle rejoignit l'enfant qui mangeait le copieux petit-déjeuner que lui préparait l'homme depuis l'autre côté du bar. « Bonjour 'Man ! » Elle répondit d'une voix tendue de suspicion et embrassa la joue offerte. « On parlait de notre projet, expliqua-t-il.
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L'Étui Vide [Terminé]
RomanceEzra ne passait déjà pas une bonne journée avant que ce malheur de comédie ne lui tombe dessus. Son conseil d'administration lui mettait la pression, et il risquait à présent d'être en retard à la répétition du mariage de sa demi-sœur. Il regrettait...