𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟖 : 𝐔𝐧𝐞 𝐥𝐞𝐭𝐭𝐫𝐞

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Un trajet en voiture, neuf heures d'avion, un train. De la foule, du bruit, des bousculades. Des visages et des voix par dizaines. Des langues inconnues qui agressent le cerveau à la recherche de repères. Des annonces ; des appels. Les lourdes valises traînées à bout de bras et d'énergie. Des cheveux fatigués en travers du visage, et un masque humide de respirations bataillées. L'esprit focalisé sur le terminal auquel accéder, les papiers à préparer, les voyageurs et pièges à éviter. Ne pas penser à ce qu'on quitte ou ce qu'on rejoint. Le but est le chemin lorsque tout vous ramène à Goethe.

Enfin, le goût de l'air redevient familier. L'intonation des voix reconnues. Les accents se sont perdus en cours de route. Et un bus. Dernière étape. Derniers efforts pour soulever les bagages. Derniers pas pour descendre les marches et remonter la rue. La destination se concrétise et le cœur s'alourdit imbécilement.

Valentin n'avait desserré les dents que peu ou prou. Une réponse monosyllabique ; une négation vaguée ; un grognement de confirmation. De sorte à asseoir son point de vue tranché par le mécontentement. Il allongea pourtant l'allure vers cette impasse qui l'avait vu grandir.

Il espérait secrètement que cet homme qui lui avait ouvert un monde de monts et merveilles, ce type capable de toutes les prouesses, serait magiquement là, à les attendre déjà. Il le lui avait promis : "Je serai là quand tu auras besoin de moi". Et présentement, Valentin avait cruellement besoin que quelqu'un lui explique ce que sa mère n'avait fait qu'éluder :

Pourquoi ?!

Mut par son regain d'optimisme, il disparut de la vue d'Élise à la bifurcation. Elle le rattrapa dans la ruelle, sans grand mérite après qu'il se soit figé au niveau du perron du n°6.

La radio de Jules était silencieuse pour une fois. Il faisait beau. Les vacances arrivaient à leur fin. À cette heure, les adultes étaient à leur travail ou en pleine sieste. L'adolescent profitait des derniers jours de vadrouilles avec ses amis, entre skatepark et supérette. Personne ne pourrait témoigner de son absence. Hormis par cette radio étrangement muette.

« 'Man ?! » La jeune femme partagea l'aphasie de son fils.

Au-delà de la façade craquelée de madame Hubert, l'isolation lisse d'une devanture neuve rajeunissait la petite rue de façon surréelle. Le versant de toit voûté par l'affaissement des poutres avait retrouvé sa rigueur rectiligne. Les gouttières modernes étincelaient si purement sous la vive lumière qu'Élise en plissa les paupières. Sonnée, elle cligna et baissa les yeux sur la porte. Le numéro 9 était bien visible, repeint d'un blanc pur.

Elle fit un pas indécis qui sortit son fils de l'hébétude. Il empoigna la valise qu'elle portait pour la tirer joyeusement derrière lui. « Vite ! Vite ! Ouvre, 'Man. Ouvre ! » s'écriait-il comme s'il s'était s'agit d'un énorme paquet cadeau sous le sapin.

Elle posa ses charges sur la pierre huileuse du seuil pour partir à la recherche de ses clefs. Heureusement, – elle en avait douté – le panneton pénétra sans difficulté dans la serrure. La tige tourna fluidement deux tours.

Le garçon ne lui laissa même pas récupérer son bien avant d'ouvrir et s'engouffrer dans les ombres du salon.

Son regard darda deci delà en s'habituant à la pénombre. Rien ne semblait avoir bougé. L'air était chargé de l'odeur des vieux livres et de la verveine citronnelle plantée dans son petit parterre. C'était bien chez elle. De ça aussi, elle avait douté !

Le dos et les bras tiraillés de courbatures, elle traîna et abandonna ses bagages à l'intérieur. L'enfant montait déjà les marches quatre à quatre après une rapide inspection du rez. Dans un soupir indéchiffrable, elle récupéra ses clefs et ferma la porte.

L'Étui Vide [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant