CHAPITRE 12 (1/3)

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ZOIA

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ZOIA

Sa tête tournait, tournait, tournait. 

Un couteau fendit soudainement l'air et se logea à quelques centimètres de sa joue. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres maquillées. La roue s'immobilisa quelques secondes. Puis, elle recommença à tourner, tourner, tourner. Son cœur, lui, n'avait même pas encore eu le temps de se remettre de ses émotions. Quand le sifflement du poignard avait tranché l'air, il avait préféré s'arrêter un instant, comme s'il pouvait arrêter le temps, suspendre la course de la lame dans l'espace ou arrêter sa trajectoire ... mais il n'avait réussi qu'à ralentir ses propres battements. En conséquence, il s'emballait désormais et redoublait de battements, comme un chef d'orchestre désordonné.

Zoia avait la tête qui tournait, tournait, tournait.

Elle était attachée à cette maudite roue depuis trop longtemps déjà. Pourtant, un sourire expressif lui ravageait ses joues. Elle adorait être sur cette roue, la tête dans tous les sens, à risquer inutilement sa vie devant la précision chirurgicale de son ami.

Un autre couteau siffla, coupant ses pensées en deux. Il se planta à quelques millimètres de la cuisse droite de la jeune femme. Elle en sentit presque la brûlure métallique. La lame avait diablement envie de se pencher et de lui dévorer la peau. Mais pas une seule goutte de sang ne coulerait ce soir. Ni aucun autre. Enfin, le troisième se planta entre son majeur et son annulaire. Elle expira alors lentement.

Elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait retenu son souffle aussi longtemps.

Les applaudissements accompagnèrent les derniers tours de la roue. Elle plongea alors son regard dans cet horizon tourbillonnant, appréciant pour la dernière fois de la soirée la sensation qu'elle avait lorsqu'elle était perchée sur la roue. La liberté. C'était paradoxal, car elle avait les pieds et les mains liées, mais elle avait vraiment l'impression de pouvoir s'évader. Quand elle devenait la reine de son spectacle, elle pouvait enfin oublier. Oublier qui elle était. Oublier son passé. Oublier qui elle fuyait.

Sa vision se stabilisa trop rapidement à son goût. Son coéquipier s'approchait déjà d'elle, prêt à la détacher. Son corps réclamait encore le contact froid avec la roue en bois contre son dos. Mais le spectacle venait de prendre fin. Elle ne pouvait pas s'éterniser. Jamais. Elle quitta donc à regret les sangles trop serrées, et se retourna fièrement en direction de son petit public.

Quand ils s'inclinèrent à l'unisson, les exclamations rugirent. Le cœur de Zoia se mit à bondir. Elle aimait entre les cris de joies de la foule en délire. Mais il y avait quelque chose qu'elle aimait encore plus ... Avec un grand sourire sur les lèvres, elle attrapa le chapeau qui se trouvait sur la tête de son compagnon, et le tendit devant elle. Immédiatement, des pièces dorées tombèrent à l'intérieur.

Son sourire s'agrandit encore. Bientôt, ils auraient amassé suffisamment de richesses pour ne plus avoir besoin de performer dans les rues de Sunharbor.

Quelques minutes plus tard, avisant le butin récolté, elle se tourna vers son coéquipier et lui fit un clin d'œil.

« J'ai bien cru que tu me coupais un doigt ce soir, Donovan. »

L'homme leva les yeux au ciel, avant de croiser les bras sur son torse massif. La petite moue qui s'était dessinée sur sa joue était adorable.

« Je ne rate jamais mon coup. »

Elle n'en avait jamais douté, pas à la moindre seconde, mais elle adorait le taquiner. C'était plus fort qu'elle. Elle aurait probablement arrêté depuis longtemps si le visage de Donovan ne se brisait pas sur un désarroi attendrissant. Il était, certes, bâti comme une bête des neiges, mais il n'en était pas moins le plus gentil des hommes qu'elle n'ait jamais rencontrés. Et elle en avait rencontré, des hommes ...

Ce n'avait pas été facile pour eux d'attirer un public dans les rues de la cité. Donovan était très intimidant, presque menaçant. Et elle ... Elle était complètement l'opposée. Elle parlait, riait, criait, ne s'arrêtait jamais. Nombres de passants avaient fui devant son exubérance. Pourtant, la différence flagrante entre leurs deux caractères, ainsi que la dangerosité de leur petit numéro avaient fini par attirer les regards. Désormais, ils performaient ensemble devant une cinquantaine de personnes !

Et l'or affluait.

Pas besoin, pourtant, d'être devin pour deviner la fragilité sous ses sourires amusées, la tristesse sous ses rires étouffées. Elle était un petit oiseau aux ailes brisées, qui s'efforçait de recommencer à voler.

Sa bonne humeur légendaire s'effaçait toujours lorsqu'elle se retrouvait seul avec Donovan. Ce dernier était devenu sa seule famille. Il l'avait sauvé de sa prison dorée. Et parfois, quand elle réfléchissait, il lui arrivait d'être reconnaissante à sa vie passée. Qui savait où elle aurait été actuellement si elle n'avait pas rencontré le colosse de glace ?

Probablement pas sur une roue en bois à triompher, encore, de la mort.

Cependant, Zoia ne croyait pas au destin. Il y avait bien longtemps qu'elle avait décidé d'arrêter d'être victime de sa malefortune. Il y avait énormément de choses que l'on ne contrôlait pas. Les aléas du soleil, ou le temps qu'il ferait le lendemain. Les saisons éphémères. Le temps qui passait, trépassait, offrant chaque minute de son éternité à ce destin prémédité. Ou encore, les regards voraces qu'elle aurait préféré laisser dans l'obscurité. Les mains masculines qu'elle ressentait encore contre chaque cellule de son corps. Les cicatrices dans le creux de ses bras.

Il y avait énormément de choses que l'on ne contrôlait pas. Mais Zoia avait décidé qu'elle serait maitresse de chaque aspect de sa vie. Ce n'était pas au destin de décider. Ni aux hommes. Ni à personne.

Elle était libre. Libre de vivre sa vie, comme elle l'entendait, de tourner, tourner, tourner.

Quand vint la nuit, les gardes se firent un grand plaisir de les chasser. La nuit, pas de gitant, de mendiant dans la cité ! Malgré tout, Zoia aimait bien Sunharbor. Il y régnait un joyeux délire qui réchauffait lui rappelait son pays d'origine. Hélia lui manquait. Plus de tout. Pourtant, elle savait pourtant qu'elle n'y remettrait jamais les pieds. Plutôt en crever.

Tous les voyageurs se retrouvaient souvent auteur de grand feu de camp. Ils discutaient de tout et de rien. Si Zoia appréciait beaucoup entendre les histoires que le monde avait à raconter, elle ne s'était paradoxalement jamais confiée. Elle gardait ses secrets.

Donovan la rejoignit rapidement près de l'endroit où elle s'était installé. Quand il posa sa main sur son épaule, elle tourna la tête dans sa direction. Un petit sourire se dessina alors sur ses lèvres. Quand le géant se laissa tomber à côté, soupirant bruyamment, elle s'approcha de lui. Sa tête glissa contre l'épaule de son ami. Ami. Le mot résonna étrangement dans ses pensées. Il y avait bien longtemps qu'elle avait cessé de considérer Donovan comme un ami. Il était son frère. Son frère de passé, de péché, de secret. Il était également peut-être le seul à savoir qui elle était réellement.

« Tout va bien ? » demanda-t-il, tandis que ses syllabes se coloraient de son accent nordique.

Elle haussa les épaules. Penser à son pays d'origine lui avait mis du plomb dans la tête. Ces souvenirs-là étaient encore bien trop vifs pour qu'elle les revive. Pourtant, elle avait beau lutter, le passé semblait toujours vouloir le hanter. Quand elle fermait les paupières, elle revoyait les visages de ses démons qui souriaient. Un frisson lui remonta le long de la colonne vertébrale.

Face au regard inquisiteur de Donovan, elle finit par hocher simplement la tête. Son ami sembla comprendre son silence, puisqu'il n'insista pas.

Et même si les chants des voyageurs s'élevèrent très rapidement dans le firmament étoilé, les deux amis ne les rejoignirent pas ce soir. Ils restèrent de longues minutes, tête contre épaule, à prier silencieusement pour que le passé ne soit pas trop exigeant au moment où il les rattraperait. 

D'IRE ET DE BRAISES - Tome 1 : le parchemin sacréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant