ZOIA
Elle ouvrit un œil, puis le deuxième. Un rayon de lumière lui agressa la rétine, et elle se retourna brusquement, fuyant les intrusions matinales du soleil bien trop enjoué. Elle n'aimait déjà pas cette journée. Pas question de rester au lit, cependant. L'or ne tomberait pas dans leurs poches.
Avec une morosité évidente, elle commença à enfiler ses vêtements en coton. Avec son pantalon gris foncé, et la tunique rose pâle qui retombait dessus, pas un seul centimètre de sa peau n'était visible. Et c'était très bien ainsi. Zoia ne supportait plus les regards des autres sur son corps. Elle ne supportait plus d'y lire du dégout, face à ses larges hanches et à ses cuisses rebondies. Paradoxalement, elle supportait encore moins le désir malsain qu'elle devinait dans les iris de certains, si similaire à ces regards qu'elle essayait d'oublier.
Penser à son passé, et aux choses qu'elle s'efforçait d'ignorer lui rajouta du plomb dans l'estomac. Elle n'aimait, décidément, vraiment pas cette journée. Elle réprima une petite boue boudeuse, armant plutôt son visage de son sourire le plus charmeur.
Quand elle sortit de sa petite tente, son expression joviale se fana automatiquement. Le campement était déserté. Personne à l'horizon. Elle jeta un coup d'œil en direction de la tente de Donovan. Fermée. Il devait encore dormir. Agacée, elle ne résista, cette fois-ci, pas à la crispation qui pinça ses lèvres. Le soleil l'avait induite en erreur. Elle avait bêtement pensé qu'il était l'heure de se lever. Mais l'aube pointait à peine le bout de son nez. Quelques dizaines de minutes encore, et les matinaux se lèveraient enfin.
Pas question d'aller se recoucher, cependant. Comme un automate, elle se mit à marcher sans vraiment y penser. Ses pas la menèrent instinctivement vers une autre tente, d'un artiste qu'ils avaient rencontré lors de leur arrivée à Sunharbor. Mais ce n'était pas le voyageur qui l'intéressait. Plutôt, une cage dorée qui lui appartenait.
Zoia avait toujours adoré les animaux. Elle avait le vague souvenir d'un petit chien dans son enfance, mais ce moment-là était si lointain qu'elle se demandait parfois s'il n'appartenait pas à une autre personne. Une Zoia sans le lourd passé, les lourds secrets. Une Zoia sans la cage dorée.
La bête qui somnolait devant elle ne ressemblait qu'à peine à ce petit cabot de son enfance. Le lion se prélassait sous les rayons du soleil. Sa crinière épaisse dépassait des barreaux dorés. Zoia n'aimait pas tellement l'idée d'enfermer un animal dans une cage. Pourtant, elle connaissait désormais bien le maitre du fauve, et elle se rassurait en se disant qu'il était particulièrement bien traité.
Pas comme moi, songea-t-elle amèrement, avant de repousser cette pensée aussi loin qu'elle le pouvait.
L'animal sembla remarquer sa présence, puisqu'il se releva prestement pour venir lui quémander des caresses. Avec un sourire, elle lui gratouilla le dessous de la tête. Le lion se mit immédiatement à rouler sous sa main tendue, tandis qu'un adorable ronronnement lui échappait. L'animal vivait en captivité depuis bien trop d'années pour se comporter comme un des siens. Pourtant, lorsqu'on le mettait devant le public, il jouait à merveille son rôle. Il rugissait, se cabrait, et impressionnait les spectateurs avec son regard menaçant. Dès l'instant où il quittait la rue, et ce masque de férocité que son maitre lui imposait, il redevenait le gros chat que Zoia adorait câliner.
Ils étaient, en quelques sortes, tellement similaires. On leur avait volé leur volonté, leur liberté. Et si le lion s'était soumis et habitué à cette vie coloré, Zoia, elle, l'avait exécrée.
« Zoia ? Qu'est-ce que tu fais debout si tôt ? »
La voix de Donovan la tira de ses pensées. Elle retira la main des barreaux, sous les grognements du lion. Elle se retourna vers son ami, et leva les yeux au ciel. Pourquoi est-ce que c'était elle qui se levait tôt ? Pourquoi est-ce que ce n'était pas lui qui tardait toujours à se réveiller ?
« Rien. Je me promène, voilà tout. »
Donovan lui lança un regard en biais, et elle baissa la tête. L'expression de son ami indiquait qu'il ne la croyait pas vraiment. Pourtant, elle ne mentait pas. Elle omettait simplement de lui dire que ses démons la pourchassaient depuis le début de la matinée. De toute manière, elle était certaine que le colosse de glace avait remarqué.
Il remarquait toujours quand elle n'allait pas bien.
C'était son talent secret. Elle ne pouvait rien lui cacher, jamais.
Autour d'eux, les nombreux voyageurs se réveillaient. Certains reprenaient la route, en espérant trouver des richesses dans les autres cités. Les autres préparaient leurs bibelots, leurs meilleures numéros. Il fallait de l'or, c'était une question de vie ou de mort. Donovan et elle s'éloignèrent quand le lion se mit à grogner à l'approche des regards indiscrets. Zoia lui jeta un dernier regard compatissant.
« On va se faire passer devant si on ne se dépêche pas. » murmura lentement Donovan.
Elle hocha silencieusement la tête. Pas question de se faire piquer le meilleur coin de rue. Jusqu'à présent, ils se représentaient dans une petite artère de la rue principale. L'avantage était qu'ils pouvaient tranquillement se préparer avant le début de leur petit numéro. Ils se cachaient derrière un petit rideau noir et attendaient que les foules s'amassent pour commencer enfin.
« Allons-y ! »
Avec un sourire, elle emboita le pas à son ami, le suivant jusqu'à sa tente. Il s'y absenta pendant quelques secondes, avant de ressortir avec un grand coffre en bois, qui contenait tout ce dont il aurait besoin. Juste à côté du coffre, la roue. Le sourire de Zoia s'agrandit. La simple idée de triompher à nouveau de la mort la remplissait de joie.
Ils prirent, en silence, la direction des fortifications de Sunharbor. Quand ils arrivèrent auprès des gardes, elle s'étonna de ne pas se faire apostropher. Le grand coffre qu'ils transportaient attirait toujours les regards. Quelques secondes, elle comprit cependant la cause de son salut. Un petit trio venait de se faire recaler à l'entrée, et une certaine effervescence régnait chez les gardes. Les trois jeunes lui passèrent devant, la tête dans les épaules.
Un petit sourire mesquin se dessina sur les lèvres de Zoia. Et toc ! Ça leur apprendrait à vouloir passer devant tous les autres.
Quand elle passa devant le garde pour se faire contrôler, ce dernier ne lui accorda à peine son attention. Son regard était rivé sur l'étrange trio. Agacée, Zoia finit par se retourner. Qu'est-ce que ces trois idiots avaient donc fait pour attirer autant l'attention des soldats ? Elle plissa les yeux, détaillant leurs visages qu'elle devinait non-loin de là.
Elle n'avait jamais vu ces trois personnes auparavant.
Il y avait deux hommes et une jeune femme. Cette dernière était ridiculeusement petite, et scandaleusement mince. Zoia éprouva immédiatement de la jalousie, avisant ses propres poignées d'amours et ses cuisses bien formées. Amère, elle concentra plutôt son attention sur les deux hommes. Le premier avait le visage complètement caché par un loup noir. On ne voyait que ses lèvres carrées et les quelques boucles qui retombaient sur son grand front.
L'autre homme, en revanche, avait le visage à découvert. Pas de loup pour camoufler une quelconque imperfection, un quelconque secret. Il avait un visage assez rond et des yeux plissés. Un shaolan, réalisa Zoia. Elle n'en avait jamais rencontré avant. Les Shaolans avaient toujours été très discrets, et il était rare d'en croiser ailleurs que dans leurs propres contrées. Ses cheveux foncés, rassemblés en un chignon décoiffé, lui donnaient l'allure d'un homme qui revenait à peine de l'enfer. Pourtant, malgré son air farouche, il y avait quelque chose dans son regard vert qui inspirait la confiance de la jeune femme.
Sa confiance était, d'habitude, très difficile à donner, mais elle ne savait expliquer ce sentiment qu'elle ressentait lorsqu'elle observait le jeune homme. La petite voix dans sa tête, qu'elle écoutait parfois – et parfois seulement – lui hurlait presque dessus pour qu'elle ne s'approche de cet homme, et de ce trio si singulier. Elle décida de l'écouter.
Et brusquement, elle faussa compagnie au garde qui la contrôlait, pour s'approcher du petit trio.
« Eh, cowboy ! Laisse-tomber, ils sont avec nous. »
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D'IRE ET DE BRAISES - Tome 1 : le parchemin sacré
FantasyPeut-on renier les pouvoirs que nous possédons depuis la naissance ? Caelum est le prince héritier du royaume de Grim. Et comme chaque membre de la famille royale, il est également un Draig. Il a le pouvoir de se transformer en dragon ou d'en utili...