Peut-on renier les pouvoirs que nous possédons depuis la naissance ?
Caelum est le prince héritier du royaume de Grim. Et comme chaque membre de la famille royale, il est également un Draig. Il a le pouvoir de se transformer en dragon ou d'en utili...
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ZOIA
Sa voix était aussi chaude et douce que dans ses souvenirs. Et puis, il avait toujours eu une façon si particulière de prononcer son prénom.
« Zoia, c'est bien toi ? » répéta la silhouette.
Zoia détailla alors son visage. Avec horreur, elle se rendit compte qu'elle s'en souvenait encore parfaitement. Elle se souvenait encore de cette expression austère, de cette froideur intrigante, dérangeante. Même après tant d'années, il avait conservé cette barbe poivre et sel et cette coupe de cheveux caractéristique. Des dizaines de tresses foncées tombaient dans son dos, parsemés de multiples bijoux dorées. Mais il avait toujours insisté sur une certaine particularité. Son crâne était rasé autour de ses oreilles. Des boucles brillantes pendaient à ces dernières.
« En personne. Tu ne me reconnais même pas, ... papa ? »
Elle cracha ce dernier mot avec venin. Le visage de Zaros Bolkiah se figea une seconde dans la douleur, avant qu'une expression plus mesurée ne vienne camoufler cette vulnérabilité.
« Qu'est-ce que tu fais ici, Zoia ?! » demanda-t-il alors.
Le cœur de Zoia se mit alors à battre plus rapidement. Si le tambour de guerre avait cessé, il reprit encore plus ardemment qu'avant. Sa colère inondait ses veines.
« Pourquoi cet air étonné ? C'est toi qui m'as vendu à Asael pour consolider votre arrangement. Où voudrais-tu que je sois ? »
Le visage de son père resta imperturbable. Pas moyen de deviner ce qu'il se passait sous ce masque d'acier. Pourtant, Zoia aurait adoré le voir flancher. Elle se serait délectée de son désarroi, comme un baume à ses plaies passés.
« Je ne sais pas. Il m'avait semblé que tu préférais une vie de pauvreté, à mendier dans les rues d'un pays qui n'est pas le tien, plutôt que de la vie d'opulence qu'Asael te livrait sur un plateau d'argent. »
Asael m'a profané ! Asael m'a volé mon bonne humeur, et mon humanité ! Asael m'a brisé les ailes ! aurait-elle voulu hurler. Comment aurait-elle pu profiter de cette vie qu'elle n'avait jamais désirée. Elle préférait mille fois la pauvreté, plutôt que les souvenirs des mains de son mari sur son corps.
Mais les mots ne sortaient pas. Ses poumons protestaient, et elle se rendit compte qu'elle avait cessé de respirer. Tout simplement.
Elle reprit une bouffée d'oxygène. Sa tête tournait, tournait, tournait.
Et Zoia n'aimait plus ça.
« Comment peux-tu être aussi ... insensible ? »
Sa voix se brisa. Une boule de chagrin s'était logée dans sa gorge, grignotant la fin de ses mots. La jeune femme déglutit lentement, essayant de ravaler sa tristesse. Pas question de la laisser éclater. Cet homme ne devait pas savoir que ses mots l'atteignaient. Elle ne le laisserait jamais gagner.
« Ne sois pas une idiote, Zoia. Rien ne m'empêchera d'atteindre mon objectif. Pas même toi. »
Son cœur, déjà à vif, saigna à l'entente de ses mots. Pendant ces cinq années de captivité, elle avait parfois espéré que son père reviendrait sur sa décision. Qu'il revienne la chercher, et qu'il l'emmène loin de son terrible quotidien. Elle s'était longuement demandé s'il regrettait. S'il se rendait compte de ce qu'il lui avait infligé.
Pire encore, Zoia se demandait parfois ce que sa mère aurait pensé. Elle, elle ne l'aurait pas laissé à la merci des désirs lubriques d'un homme. Sa mère ne l'aurait jamais abandonné, comme son père l'avait fait.
« Mais explique-moi plutôt ce que tu fais ici, si tu détestes tant Asael. » demanda alors Zaros, profitant de son silence pour attaquer.
La question la déstabilisa profondément. Elle perdait pied. Soudainement, elle ne savait plus répondre. Sa répartie légendaire avait décidé de l'abandonner dans un moment critique. Zoia se promettait de ne jamais le lui pardonner. En attendant, elle n'avait toujours pas retrouvé de quoi rabattre le caquet de son père.
« Ne me dis pas que tu es avec cet idiot de prince héritier. » soupira l'homme, en passant une main sur ses tempes. « J'ai entendu dire qu'il avait fait du grabuge à Sunharbor... J'aurai dû m'en occuper quand j'en avais l'occasion. »
Un frisson glacé remonta le long de la colonne vertébrale de la jeune femme. Elle ouvrit soudainement la bouche, retrouvant tout à coup la parole.
« Ne t'avise pas de toucher à mes amis ! »
Un petit ricana s'échappa des lèvres de Zaros. Son regard s'était armé de malice. Il se délectait de la situation, du désarroi qu'il devinait dans le regard de sa propre fille.
« Oh non. Ils ne m'intéressent plus. Et puis, je réserve à Asael et à ses gardes le bonheur de faire tout ce qu'ils veulent avec eux. »
La colère explosa et elle bondit en avant. Zaros évita facilement le poing tendu en direction de son nez, basculant simplement sur le côté. Zoia chuta brusquement contre un bureau, répandant quelques dizaines de papier par terre. Elle se releva rapidement. Son regard lançait des éclairs. Au loin, l'orage grondait à l'instar de sa colère.
« Monstre ! »
Le visage de l'homme se fendit d'un air peiné, mais Zoia ne se laissa pas berner par son petit manège. Même si l'envie la démangea fortement, elle se contenta de serrer fortement les poings. Ses jointures blanchirent, et la forme de ses ongles s'imprima à l'encre indélébile dans sa chair. Pas question de l'attaquer. De toute manière, il la dominerait probablement.
Zaros profita de cette soudaine accalmie pour reprendre.
« Tu as été une idiote de revenir ici. Asael a sûrement déjà découvert la présence de tes précieux amis. Il sait que tu es là. N'oublies pas que tu lui appartiens désormais... Il fera tout pour te récupérer. »
Le dégout lui retourna les tripes. Elle lutta contre la nausée, et lui lança un regard amer. Elle n'appartenait à personne ! Elle avait cessé d'être la propriété de son mari au moment où elle avait monté dans le bateau de Donovan. Bercée par la mélodie des sirènes, elle s'était fait une promesse éternelle. Plus jamais elle ne serait la chose de quelqu'un.
Elle devenait maitresse de sa propre vie.
Et vivrait comme elle l'entendait.
Elle était plus que déterminée à le prouver à son père. Le combat commençait maintenant. Et elle ne cesserait jamais de se battre. Pour ses droits. Pour sa liberté.
Pour ses ailes qui guérissaient enfin, et qui l'emmenaient vers un horizon qu'elle méritait.
Alors qu'elle ouvrit la bouche pour répliquer placidement, quelque chose l'interrompit brusquement. Soudainement, le carillon d'un cloche résonna dans toute la pièce. Zoia sursauta, avant de se boucher les oreilles, assommée par le bruit qui se répercutait.
Le signal, réalisa-t-elle alors.
Cependant, ses mains ne réussirent pas à atténuer le hurlement métallique de la cloche.
Ni à camoufler la vocifération bestiale qui tonna juste après.