6 - Le clan du Silex (1/2)

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La fronde tourne, tourne, puis je lâche une extrémité. PAF ! La pierre ronde frappe le tronc que je vise depuis le matin. Je recommence, vivifié par ma victoire, et PAF ! L'écorce éclate, comme ma colère. Comme ma rage qui bouillonne à l'intérieur de moi.

Où que j'aille, où que je marche dans l'Assemblée, les gens sont exactement comme Khal. Ils me jugent, me regardent, me détestent. Je saisis un nouveau petit galet que j'insère dans la fronde, et je tourne. Elle siffle, tel un serpent prêt à mordre et PAF !

L'écorce saute du tronc, mettant l'arbre à nu. Je suis essoufflé, transpirant et torse nu. Ma canne est posée à même le sol, à quelques pas de moi et je suis assez fier de mes accomplissements. Nizar va être impressionné ! A mesure que j'utilise la fronde, j'en explore les possibles, et je comprends l'intérêt de la chasse avec pareille arme.

Je n'ai pas le temps d'aller la chercher que des voix s'élèvent derrière moi, venant de la clairière.

Après l'annonce de Brina et l'effervescence à l'Assemblée, un moment de quiétude me semblait nécessaire pour me remettre les idées en place. Or, quand j'aperçois le groupe de jeunes gens venant à mon encontre, je commence à paniquer.

Nizar n'est pas avec moi. Je suis seul.

« Alors c'est toi l'esprit-mêlé ? lance le premier, un jeune homme sans doute de mon âge. Aha, mais qu'est-ce que tu es laid ! »

En réponse à sa remarque, un adolescent roux aux biceps saillants et une jeune femme vêtue d'une magnifique pelisse ouverte et décorée de perle d'os s'esclaffent de rire. Le meneur, que j'identifie immédiatement en tant que tel, possède une musculature avantageuse face à la mienne bien maigrelette. Je claudique aussi vite que je le peux jusqu'à ma canne qui m'échappe des doigts.

Il vient de mettre un grand coup de pied dedans, l'envoyant valser un peu plus loin. Mon équilibre vacille et je parviens à me maintenir sur mes deux jambes au prix de moulinets des bras.

« Hey ! je crie. Ça ne va pas ? Pourquoi tu fais ça ?

— Laideur ! Tu ne seras jamais un homme, esprit faible ! Tu es la honte de la tribu ! »

Chaque mot est une gifle, un coup de couteau de silex entre les côtes. J'encaisse les insultes sans broncher, avant de dresser le menton fièrement. Je suis apprenti de Mourgür ! Je suis du clan des Steppes ! Or, rapidement, mon orgueil et ma fierté sont balayées par un coup de poing dans le visage.

Je me sens voler.

Je pars en arrière et, quand enfin mon corps touche le sol, mes poumons se vident de leur air. Je hoquète, pitoyable, la vue brouillée par les larmes et l'impuissance.

« Ta place est avec les rampants, le Boiteux ! » crache-t-il, goguenard.

A peine a-t-il lâché sa nouvelle insulte que le groupe de trois s'en vont dans de grands éclats de rire gras. Je me relève, chancelant. Ma jambe droite me trahit de nouveau et je chute de tout mon long.

Et là, c'est trop pour moi.

Je sanglote, face contre la terre, dont les effluves me parviennent au milieu de mes larmes, chaudes et réconfortantes. Est-ce donc ainsi que va se résumer ma vie à l'Assemblée ? Vais-je devoir encaisser, encore et encore, les insultes, les remarques sur mon physique et ma différence ? Vais-je avoir le droit, moi aussi, au respect ? Je saisis pourquoi notre clan ne s'est que peu présenté aux Assemblées du passé, préférant à mesure que je grandissais espacer leurs venues. Je suis un problème, je suis comme ma jambe droite pour le clan, et pour s'en protéger ils évitaient de se présenter en ces lieux bondés.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant