20 - Voyage (1/2)

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Le cri perçant s'étire.

Il se termine par un couinement de terreur et est tout de suite suivi par des bruits de course effrénée, des hurlements apeurés. Un filet de sueur glacée coule le long de mon dos sous ma pelisse de renne ; les dévorâmes sont arrivés !

Je ne peux me départir de ma culpabilité. Fran le Maudit m'avait prévenu. La morsure à ma jambe se rappelle à mes bons souvenirs, marqué que je suis. Amaruq plaque ses oreilles contre son crâne, la queue droite et les crocs découverts. Oceyäne attrape ma main tandis qu'Izna fouille dans ses affaires pour sortir ses sagaies et son propulseur taillé. Jusqu'alors je n'avais pas remarqué la finesse de l'objet et la qualité des gravures, mais l'urgence de la situation requiert toute mon attention.

« Reste ici ! » m'ordonne sèchement la Prêtresse.

Je n'ai nullement l'intention de lui obéir. Elle jaillit dehors, Izna sur les talons et je demeure un instant debout, dans un équilibre précaire, mon ami loup à mes côtés. Pendant un moment, je ne bouge pas, je ne respire pas. Tout est bloqué.

Immobile. Le silence retombe autour de moi. J'ai le sentiment d'être ailleurs.

« Je t'avais dit que je viendrai... » siffle un murmure à mon oreille.

Je sursaute.

Le Maudit ! Le dieu-sans-nom est là, tout près, commandant ses bêtes jusqu'aux Céruléens pour les saigner et les tuer ! J'ai conscience qu'il me veut, qu'il souhaite se débarrasser de moi. Je suis une menace à sa malédiction parce que nous l'avons oublié, car son nom est tombé dans l'oubli, aspiré par le temps et les cycles.

Son clan lui-même n'est plus dans nos mémoires, et pourtant nous avons pléthores de chansons et de danses pour nous rappeler les Histoires des Hommes. Sans doute que nous avons souhaité les oublier à jamais.

Je me ressaisis dans l'instant, attrape ma fronde et ma canne avant de m'agenouiller maladroitement au niveau d'Amaruq.

Lui qui a déjà affronté un dévorâme pour me défendre, il ne doit pas prendre plus de risque. Il est encore en convalescence, et je ne peux pas me permettre de perdre un si bon ami. J'essaie par des gestes et des paroles douces de lui conseiller de rester à l'abri, mais je sais qu'il fera comme bon lui semble, loup libre qu'il est.

Appuyé sur ma canne, je bondis dehors et l'horreur me percute, les sons reviennent dans toute leur horreur sanglante.

Ce ne sont pas des dévorâmes bestiaux qui attaquent les Céruléens.

Ce sont leurs propres morts.

Deux garçons sont au milieu des Céruléens, la bouche débordantes de terre, pâle comme la lune, bras tendus vers ceux qui se rapprochent de trop. Ils courent tels des animaux, tantôt sur leurs deux jambes, tantôt avec leurs bras, les yeux exorbités par une rage dévorante.

À quoi peut bien me servir ma fronde contre deux enfants ?

Deux garçons emportés par le Mal-qui-Respire ? Je sens mes forces me quitter, m'abandonner, sans que je puisse rien y faire.

Amaruq se poste devant moi le dos rond et les poils hérissés. Il est prêt à attaquer ces enfants ranimés par la magie du dieu-crapaud, je le sens. Son corps est tendu, ses muscles bandés au maximum dans toute sa sauvagerie. J'arme ma fronde, ma canne reposant sur ma hanche, et je commence à la faire tourner.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant