22 - Aurochs enragés (2/2)

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J'écarte les bras, et je cours, débarrassé de mon infirmité. Je ne m'habitue pas à cette liberté de mouvements et cette force dans ma jambe droite, cela me procure toujours autant de joie et de force. Mes bras commencent à battre l'air, ma peau se gonfle et des plumes commencent à pousser. Lentement, la plante de mes pieds quitte le sol et je m'envole, transformé en corbeau ; Amaruq aboie, le museau levé, et me regarde partir. Ensemble, nous décrivons un large écart pour observer la plaine et une possibilité de piéger les aurochs.

J'ignorais que les animaux comme un loup puisse lui aussi voyager dans le Monde des Esprits, mais est-ce si étonnant que ça ? Je me promets de poser la question à Mourgür à mon retour de mon périlleux voyage.

Nous filons en direction de l'ouest, nous éloignant ainsi de la rivière scintillante dans la forte lumière du soleil. Le troupeau d'aurochs n'est pas très imposant. Néanmoins, il demeure un danger potentiel dès lors que nous cessons d'y faire attention. Ces animaux, pesant et larges, portent des cornes sur le sommet de leur crâne qui peuvent embrocher un chasseur imprudent. Il arrive qu'un tigre à dents de sabre ou un lion des plaines meurent sous ses attaques et ses sabots dévastateurs. Que peut faire un homme ou une femme face à une telle bête et puissance ? Salgeörth les a créé parfaits.

Amaruq court aussi vite que le vent, son pelage ondoyant sous la brise de sa course. Il est heureux, je le vois à travers mes yeux de corbeau.

Me métamorphoser procure des sensations si étranges que le monde autour de moi s'en est changé ; les couleurs, les odeurs, l'impression que l'air lui-même me porte. Je perçois les courants chaud et mes plumes s'y accrochent. Je monte en altitude sans efforts et sans battements d'ailes, jusqu'à ce que les aurochs deviennent minuscules.

Je perçois dans l'angle de ma vue le point noir qu'est devenu Amaruq, et intérieurement je souris. Au loin, la plaine continue sa progression ; le terrain est défavorable à une chasse, nous ne pouvons pas les bloquer ou les forcer à prendre une direction plutôt qu'une autre. Au fond de moi, ce constat me rassure, car je n'ai nullement l'envie ou le besoin de partir tuer un aurochs, quand bien même de la viande fraîche serait une aubaine dans notre cas ; le voyage est encore long, les Montagnes sont toujours réduites à ces silhouettes floues dans le lointain du nord-est.

Poussant un cri, Amaruq revient vers moi, la langue pendante tandis que je perds de l'altitude. Le sol se rapproche à une vitesse ahurissante, jusqu'à ce que mes pattes se tendent vers lui pour redevenir des jambes. Les plumes disparaissent dans une fumée noire qui se dissipent dans le vent, puis nous fonçons vers la tente et je reprends corps avec le Monde des Hommes.

Allongé sur ma couche, les effets de la potion magique se dissipe, je rouvre les paupières.

Au-dessus de moi, un homme me pointe de sa sagaie en os.

Ce ne sont ni Oko, Qahim ou Krania. Un autre homme vêtu d'une pelisse en fourrure d'ours des cavernes visent Amaruq avec agressivité. N'a-t-il pas apprit à ne pas attaquer un loup de front, acculé dans un espace aussi exiguë qu'une tente de cuir tendu ?

Je retiens le loup par le cou. Ce dernier retrousse les babines, grogne, prêt à nous défendre de sa vie. Je sens sous sa fourrure les muscles du fauve bander, la tension de son corps est aussi tendue que du cuir séché.

« Qui êtes-vous ? » je demande d'une voix rendue pâteuse par la potion.

Il me répond un ordre dans sa propre langue, que je ne comprends pas du tout. Mon corps en barrière entre l'intrus et Amaruq est la seule chose qui prévient le sang de couler. Les deux chasseurs armés de sagaies sont farouches, et sont de la même espèce d'Homme que Qahim, Oko et Krania, avec le front haut et l'absence d'arcade sourcilières prononcées comme moi. Je sens mon cœur battre de plus en plus fort dans ma poitrine, conscient du danger qu'ils représentent.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant