23 - Mammöts (1/3)

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Quand je remonte à la surface, mon bâton de sorcier toujours en main, je ne vois rien, le visage dégoulinant d'eau. Je bats des jambes autant que je le peux. Je ne sais pas nager. La panique me saisit, l'urgence me pousse à garder la tête hors de l'eau. Je ne pensais pas que la rivière puisse être aussi puissante, glacée et profonde quand je l'ai observé du ciel.

À plusieurs reprises, je suis aspiré par le fond. Des roches me percutent les côtes, les jambes, l'épaule. Je retiens les douleurs de me faire crier, tant chaque respiration est précieuse.

« Amaruq ! Qahim ! Oko, Krania ! » j'appelle entre deux plongées d'angoisse dans les eaux glacées de la rivière.

De nouveau ballotté, je perds la notion du haut et du bas, je tourne dans tous les côtés, je respire de l'eau et je tousse, mon souffle s'amenuise. Peu à peu, mes forces me quittent ; je secoue les jambes et les bras, mes mouvements ralentissent. Je perds mon combat contre la rivière.

Est-ce donc ainsi que je meurs, noyé dans une rivière ? Est-ce ainsi que j'échoue à sauver les Hommes de la malédiction de Fran le Maudit ?

Un corps se colle au mien, et je repère Qahim qui entoure ma poitrine de son bras gauche. Il me tire jusqu'à la rive, de toutes ses forces. J'aspire l'air par bouffées, hoquetant et bavant comme un enfant qui mange trop vite. Quand mes pieds retrouvent la terre, je me précipite sans faire attention à Qahim vers la rive, où je m'affale le visage contre le sol de vase, mes poumons en feu. Amaruq se secoue à côté de moi, je l'entends mais je garde les yeux fermés, concentré sur mon propre corps moulus et perclus de douleurs.

« Ils sont... ils... Nos amis...

— Reprends ta respiration, halète Qahim, d'accord ? On parle... après. »

Je grelotte non pas de froid, mais de mes efforts épuisants. J'ai usé de toutes mes forces, de toute mon énergie, et je suis vidé, las, anéanti. J'entends encore résonner dans mes oreilles les cris terribles d'Oko et de Krania, ces appels perdus dans le fracas des sabots des bovins enragés par le tremblement de terre.

Sans mon compagnon de voyage, je serai mort dans la rivière, ou plus tôt encore, écrasé par les aurochs. J'ignore sur le dieu-crapaud est à l'origine des soubresauts de la terre, et sans que doute est-ce le cas ; je prends une respiration après l'autre, l'adrénaline quitte mon corps, je suis exténué.

Je n'ai pas lâché un seul instant mon bâton de marche. Ce détail me fait doucement rire. Quand je reprends mes esprits, Amaruq me lèche le visage et je l'enfouis ensuite dans son cou trempé, où son odeur musqué et sauvage me sature les narines. Il est là, mon ami loup noir, et il ne m'a pas abandonné. Je le serre contre moi, j'hume ses odeurs. Il jappe, me lèche affectueusement, aux côtés de Mumbaÿ qui accueille son compagnon de route de la même manière. Nous nous regardons, lui et moi, d'un air grave et perdu.

Je me lève avec lenteur, mon pantalon et ma pelisse sont lourds, gorgés d'eau. Je me mets à marcher jusque dans la taïga, puis regarde la rivière et tente de repérer dans le paysage les traces du troupeau et de notre campement.

En vain.

Le paysage, s'il semble similaire, est différent. Le courant de la rivière nous a emporté et il m'est impossible de retrouver de vue l'endroit où nous avons plongé ; la force de l'eau nous a rejeté bien plus en aval. J'observe Qahim, qui peste et râle, les cheveux détachés de ses tresses. Il m'attrape l'épaule, et me lance :

« Allons-y. Tu as trouvé ton souffle ? »

J'acquiesce, mais il a déjà pivoté sur ses talons, sifflé Mumbaÿ et je suis obligé de le suivre. Je tente d'une main de resserrer contre moi ma besace d'herbes médicinales, en songeant que ce plongeon forcé a détruit une grande partie de ma pharmacopée. Je crache sur le sol.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant