3 - Le départ (2/2)

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Le soulagement est palpable, le matin, lorsque les trois voyageurs déposent des lamelles de viande séchée au centre du campement avant de partir. Ils nous offrent de quoi manger aussi, sans doute soucieux d'avoir été nourri tout le soir. Nous les regardons prendre la route de l'Ouest, où notre tribu ne va jamais, vers ce qu'on raconte être la Mer Infinie.

Je regarde leurs silhouettes disparaître, calmement, les yeux encore ensommeillés, quand Zarkaï m'attrape l'épaule.

« Sigur, tu ne dois pas regarder des hommes comme une femme les regarde, dit-il. Ce n'est pas approprié, surtout s'ils ne sont pas de la tribu. »

Je serre les lèvres.

Regarder des hommes comme une femme les regarde ?

Etrange formulation. Je hausse les épaules, mais il insiste :

« Tu as seize étés, rajoute le compagnon de Brina, tu dois te montrer plus fort que ça. Qui va nourrir ta femme et tes enfants si tu restes encore à graver des esprits d'animaux avec le vieux sorcier ?

— Mourgür va me présenter à la Mourgüria, à l'Assemblée, fis-je savoir la langue pâteuse. Je ne suis pas un chasseur et quand je chasse, je suis bien mauvais. »

Je remarque les muscles de la mâchoire de Zarkaï se serrer, sans doute de frustration. Il sait, comme moi, que je veux rentrer dans la Mourgüria, l'ordre des sorciers de la tribu. Chaque clan voyage avec l'un d'eux, pour les protéger des maladies, soigner les blessures et quémander la protection des dieux. Ils possèdent une immense connaissance des plantes qui soignent et qui apaisent, les chansons des Temps Anciens, et peuvent parler avec le divin. Mourgür pense que je peux les rejoindre, et j'ai bien l'intention de devenir un homme-médecine à mon tour, et voyager avec mon clan qu'on m'attribuera à la mort de leur Mourgür.

Zarkaï grimace, crache par terre.

« Non pas qu'être Mourgür est mauvais, déclare-t-il, mais je préfèrerai que tu ensemences une femme pour transmettre ton esprit. Mais je pense que ton esprit est celui d'une femme. Fais attention, c'est tout. Et va chasser avec Nizar, il veut te montrer sa fronde. »

Juste avant de rejoindre Nizar, je rentre de nouveau dans la tente que je partage parfois avec Brina et Zarkaï. Elle me prépare une infusion de menthe et de verveine séchée. Elle aime les plantes et en connait certaines, mais bien moins que Mourgür et bientôt, moi aussi je pourrai lui donner des conseils.

Je bois le breuvage silencieusement, et elle ne parle pas non plus. Elle évite mon regard, sans doute parce qu'elle sait quelle conversation je viens d'avoir avec son compagnon. Je ne dis rien non plus. Je récupère ma besace, mes outils de gravures et la côte d'aurochs sur laquelle je m'entraîne avant de sortir.

L'aube nimbe le ciel de ses splendides couleurs d'ocre.

Nizar sort de sa tente familiale, accompagné de son petit frère Marün. Quärma s'occupe de ses deux dernières tandis que Oupà termine les sagaies. Bientôt, ils iront chasser, et nous devons plier nos tentes, mettre en réserve la viande qui a terminé de sécher près du feu.

Les steppes autour de nous sont calmes. La mer n'est pas loin, on peut la sentir dans le vent qui se lève. Tout autour, les plaines ondulent, les hautes herbes dansent dans la brise matinale. Quelques arbres poussent au bord d'un court d'eau, mais sont bien rares.

Mourgür m'a expliqué qu'il faut beaucoup d'eau pour les arbres, et qu'ils poussent rarement en grandes forêts, sauf à la Grotte des Esprits, là où nous allons pour l'Assemblée chasser le phoque et les rennes à la fin d'été, lorsqu'ils partent pour le nord lors de la saison morte.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant