18 - Pour qu'eux aussi, arpentent les cieux (2/2)

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Mes devoirs d'apprenti homme-médecine ne s'arrêtent pas pour autant. Qahim et Mumbaÿ ont retrouvés leurs habitudes dans la hutte d'Oceyäne et d'Izna, et il m'ignore avec politesse. Une étrange tension demeure entre nous, même s'il a accepté de venir avec moi et Amaruq, Oko et Krania. Il range ses affaires avec soin, étale ses nouvelles acquisitions ; haches en jadéite, magnifique, des poignards de silex aux manches ouvragés et fins, des racloirs, perçoirs, et deux propulseurs avec une forme de mammouth gravé, certainement en os.

J'y récupère mes herbes et mes onguents avant de filer dans la hutte médicinale. Dehors, la vie a repris son court normal, les festivités reprennent ; les flûtes étirent leurs trilles dans le ciel, les tambours martèlent le rythme d'une musique joyeuse, et des danseurs ont fixés à leurs chevilles des coquillages qui chantent aussi dès qu'ils sautent et se mouvent.

Au moment de pénétrer derrière la barrière de cuir tendu, une odeur putride m'assaille, une odeur de mort, de malade, que j'identifie immédiatement pour l'avoir déjà reniflé chez des gens de ma tribu avec Mourgür. Je sais ce que cette odeur âcre signifie.

Il n'y a plus d'espoir pour cette mère et ses enfants. L'un d'eux s'est éteint, le souffle de la vie a quitté son petit corps de presque sept printemps. Izna a eu la bonté et le réflexe de le couvrir d'une fourrure, pour le dissimuler à sa famille restante flottant dans les brumes de la fièvre. Une petite lampe à graisse, avec une mèche de mousse, fend l'obscurité des lieux pour nous permettre de travailler aux soins.

Elle coule un regard vers moi, accroupit au-dessus du foyer qu'elle s'apprête à allumer. Ses yeux me pénètrent.

Tristes.

Immensément tristes. D'une profondeur telle que je suffoque un instant devant la détresse de la guérisseuse Céruléenne.

« Fais bouillir de l'eau, s'il te plaît, dit-elle dans un murmure. Les galets sont là. »

Elle désigne le côté du feu encore éteint.

Je sais ce qu'elle s'apprête à faire.

Les rites mortuaires. Mon sang se glace, comme sous le vent d'hiver. Mon cœur semble s'arrêter un instant. Dans la pénombre de la hutte, avec pour seule source de lumière que la lampe à graisse et les rumeurs assourdies des réjouissances en fond sonore, je me sens comme dans un autre monde. Oceyäne pénètre à son tour dans la hutte, l'air grave, toujours vêtu de sa belle tenue immaculée.

Le blanc est une couleur sacrée, car rare. La porter est signe d'une richesse et d'une prospérité certaine. Elle nous observe, s'accroupit à son tour, et prend des mains tremblantes de la femme de son foyer le nécessaire à faire du feu d'une douceur aimante.

« Je m'en occupe, Izna. »

Rien d'autre n'est prononcé.

L'enfant restant tousse, sa respiration est rauque, sifflante comme celle d'un serpent, et je me précipite vers lui. Je tente de le rassurer, mais son front est brûlant comme des pierres exposées au soleil d'été. Sa mère roule sur elle-même, en proie à un délire causé par la fièvre. J'ai le sentiment que la maladie est en train de les emporter à la suite du petit garçon.

Le front trempé de sueur, ses mèches de cheveux collés au front, il gémit de douleur. Je colle mon oreille contre sa petite poitrine.

Le son qui me parvient, accompagné de chacune de ses respirations, est une rivière de pierres s'entrechoquant dans un vacarme muqueux. Horrifié, je tourne mon regard vers Izna, affectée par la dégradation de l'état de santé des malades. Dans peu de temps, le Mal-qui-Respire va les emporter, d'autres subiront la malédiction de ce dieu-crapaud immonde et...

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant