4 - L'Assemblée (2/2)

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Je m'appelle Sigur, et je vais devenir un Mourgür.

Comme une litanie, je me répète ces mots inlassablement, à mesure que le soleil continue sa course dans le ciel azuré. Aucune pluie ne va venir nous rafraîchir, et je marche, pas après pas, dans l'ombre du sorcier, loin de mon clan et la tête pleine de questions, mes mains moites de tenir mon bâton pour soutenir ma jambe droite.

Vais-je être accepté ?

Suis-je si différent ?

Je n'aime pas les paroles de Zarkaï, ni la manière avec laquelle il me regarde, et Nizar ne s'approche même plus de moi. Avoir énoncé mon métissage semble dessiner entre nous une limite, une fin à quelque chose qui n'a pas encore commencé.

Esprit-mêlé.

Ma mère m'a enfanté avec un de ces hommes que nous avons vus, ces visiteurs aimables et doux. Je n'arrive pas à y accorder une once de vérité, et pourtant je dois le croire, ainsi le prouve mon corps. Est-ce donc pour cela que je suis destiné à devenir un shaman ?

Mon esprit est tourmenté et, quand j'entends le raclement de sabots et la terre trembler, je lève la tête pour rester bouchée, les bras ballants et la tête enfin silencieuse.

Un troupeau d'aurochs avance, avec la lenteur et la cohésion d'une seule et même créature au milieu d'une steppe jaunie par la chaleur de l'été. Au fond du paysage, la terre se soulève en crètes délicates parsemées de quelques arbres, et la rivière scintille dans l'éclat du soleil. J'admire et m'abîme dans la contemplation de l'horizon, sans entendre les bruits de pas derrière moi. Mourgür s'éloigne, sans m'accorder un regard, pour rejoindre la procession du clan plus bas.

Esprit-mêlé.

Je sais que je suis plus faible, moins musclé, moins fort. Mais je n'en demeure pas moins un homme du clan ! Je n'en demeure pas moins un futur Mougür. Et je sais, au fond de moi, que ma différence physique fait de moi un candidat parfait pour la Mourgüria, car aucune femme ne voudra s'unir avec un homme comme moi. Je déteste la chasse, je hais le sang, et mon esprit est tout le temps ailleurs, à me poser des questions sur ce qui m'entoure.

Nizar me rejoint, la mine sombre.

Il est pensif, les sourcils froncés dans une expression de colère ou de tristesse, je ne sais pas le dire. J'observe un silence aussi, n'osant le troubler.

« Tu es un esprit-mêlé, mais moi, je m'en fiche, dit-il. Je l'ai toujours su.

— Merci, Nizar. »

Que puis-je dire de plus ? La déclaration de mon ami me réchauffe le cœur. Le clan avance, à notre gauche, et bientôt nous dépasse. Le troupeau d'aurochs continue sa migration en paix, sans se soucier de ces quelques hommes en transhumance.

« Tu es mon ami, quoi qu'il arrive. »

Torse nu, beau, Nizar se rapproche de moi, et me serre dans ses bras. Il sent bon la sueur et le vent. La chaleur du soleil rit encore dans ses longs cheveux roux.

« Nizar, je...

— Je sais que Zarkaï aimerait que tu sois bon chasseur, rajoute-t-il, et tu vas le devenir. Je vais t'aider, et tu pourras lui dire que tu deviens quand même Mourgür. Tu vas lui prouver que tu as un esprit fort, car je le vois. »

Doucement, il se détache de moi, un sourire sur les lèvres. J'aurai aimé que l'étreinte ne s'estompe pas aussi rapidement. Ne reste dans ma poitrine qu'une impression de vide, une drôle de sensation dans mes entrailles. Je me plonge dans les yeux clairs de Nizar, rieur et plein d'amour pour moi.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant