12 - Loup (1/2)

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Les yeux jaunes ne me quittent pas de la nuit.

Ils guettent mes mouvements, mes allers et retours, mes gestes. Je le perçois dans le champ de ma vision périphérique, mais je fais comme si l'animal tapi demeure invisible. Pour me rassurer, certes, mais aussi pour continuer de l'observer, anticiper peut-être une attaque et l'identifier. Ma fronde est pendue à ma ceinture, et je suis prêt à réagir au moindre signe brusque.

La viande est découpée sur place. Le tarpan, gras d'avoir mangé toute la belle saison, me fournira sûrement de quoi survivre. J'ai allumé plusieurs feux autour de moi, en cercle, autant pour la lumière que pour prévenir les attaques de charognards. Je ne peux pas que ma proie, si durement chassée, me sois dérobée par d'ignobles hyènes !

Mais les charognards rieurs se font presque attendre, comme si la présence de ces yeux fauves, attrapant la lumière vacillante des flammes par intermittences, les chassaient.

Cela me rend curieux, mais prudent.

Agile de mes mains, sans doute en raison de mon ancienne formation de graveur et de sorcier, je fabrique une sorte de traineau sur lequel je dépose les énormes cuisseaux de l'animal. Ses tripes, estomac et vessie sont extrêmement précieux ; autant pour fabriquer des gourdes et outres que pour conserver la viande et la graisse. La peau est percée d'un gros trou, et il me faudra plusieurs longues journées de travail pour en faire un cuir utilisable. J'ai lutté, mais je suis satisfait.

Le sang, néanmoins, continue de me dégoûter : son épaisseur poisseuse, son odeur piquante déclenchent des frissons désagréables. Quand il coagule et sèche sur mes mains, ça me gratte et il me tarde de prendre un bain dans la rivière avec de la saponine. Je prends garde de récupérer tout ce que je peux récupérer, quand les yeux se rapprochent, un grognement sourd s'échappant de ses babines.

La fourrure noire et drue, le museau en avant, une truffe humide, le loup à demi-plié se tasse sur le sol, le poil du dos hérissé. Il me menace d'un grondement guttural et rauque. Mon sang se fige, je m'immobilise, tendu. Je jette ce que j'avais dans les mains, un morceau épais de viande sanguinolente. Le loup saute dessus, grogne, et recule, ses yeux fixés dans les miens.

Échanges.

« Tu as faim, toi, dis-je. Tu es seul ? »

Évidemment le loup ne me répond pas. Il mastique bruyamment son morceau de viande, pendant que je m'occupe de poursuivre ma besogne. Je découperai les lamelles fines plus tard, pour les sécher au-dessus d'un bon feu. En attendant, je mets le plus précieux de côté, avant de me lever.

L'aube arrive. Les organes vitaux, cœur, poumons, sont jetés au loup noir. Dans la lumière tamisée grise du lever du soleil, le canidé apparaît dans sa totalité. Son camouflage nocturne s'estompe et sa silhouette se précise.

Échanges.

L'animal grogne sur ce que je lui ai donné, et recule avec sa prise quand je laisse le cadavre dans le trou. Je suis souillé, au bord de l'épuisement. D'une main, je tire les cuisseaux et les futures outres et de l'autre, je m'appuie sur ma canne.

Quand le loup essaie d'attraper un morceau de ma prise personnelle, je tape le sol en criant :

« File, le loup ! File ! »

Il sursaute, surpris, mais revient à la charge.

« Je t'ai dit de partir ! Dégage, le loup ! C'est ma proie ! Pshht ! La carcasse est toute à toi, si tu le veux ! »

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant