19 - Vision (2/2)

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Le silence.

Épais, total, et parfait. Aussi lisse qu'un éclat de silex fraîchement tombé, aussi tranchant que le plus effilé des poignards.

L'obscurité.

Absolue, palpable et douce. Aussi épaisse qu'une fourrure de renne, aussi chaleureuse qu'une hutte chauffée l'hiver.

Je me sens bien, dans cet ailleurs, jusqu'à ce qu'une humidité poisseuse vienne chatouiller mes orteils nus. J'ouvre les yeux. Une lumière grise émane des roseaux autour de moi, sans une brise de vent pour les faire danser ou chanter. Le ciel est inexistant, noir et sans étoiles ni lune. Je retiens ma respiration, tant l'odeur qui assaille mes narines est faite de putréfaction végétale. Le Marais Putride, je réalise avec effroi.

Je regarde de tous les côtés pour essayer de voir Jania, la géante, mais je ne vois personne, pas même un rocher blanc, rien que le silence, et l'immobilité.

La panique commence à grimper dans mon bas-ventre, la peur insidieuse d'être au mauvais endroit sans aucune porte de sortie. Je porte la main à mon cou, et je pousse un éclat de terreur.

Je ne porte pas mon obsidienne ! Je ne suis pas ancré grâce à l'énergie de la pierre noire, je ne peux rien faire si ce n'est espérer que ma force de Mourgür m'aide à me porter de retour dans le Monde des Hommes ! Je ne peux pas rester bloquer dans le Monde des Esprits maintenant. J'ai une mission.

J'ai un devoir envers mon clan et les autres tribus. La malédiction du Mal-qui-Respire continue d'envahir nos voies respiratoires et les morts vont être de plus en plus nombreux. Désemparé, je me mets en marche et, comme à chaque fois que je voyage dans ce Monde, je demeure surpris de la fluidité avec laquelle j'évolue. Mon infirmité disparaît, elle s'évanouit. Un grand sourire s'épanouit sur mon visage malgré ma situation précaire.

« Vous êtes bien joyeux, pour un condamné à mort, ricane une voix corrompue.

- Que... Qui êtes-vous ? »

Aucune silhouette ne se présente, pourtant je suis persuadé d'avoir entendu quelqu'un parler juste à côté de moi, pareil à un murmure gras.

« Sigur, du Clan des Steppes et de la Tribu des Hommes, tu es venu jusqu'ici sans protection et sans ancrage. C'est une bien mauvaise idée. As-tu écouté Jania la dernière fois que tu es venu en ces lieux, petit esprit ?

- Qui est là ? je hurle. Montre-toi ! »

Sous mon injonction, je sens ma magie de sorcier jaillir de ma voix, ordonnant à l'entité de se dévoiler. Une vapeur noire ondule devant moi, à quelques pas. La fumée se condense, forme un crâne, des épaules larges, un torse épais d'Homme des Clans, et enfin il m'apparaît. Néanmoins, son visage possède une irrégularité.

Le constat me fait froncer le front ; il est mêlé, comme moi. Son menton est pointu, ce que Nizar ou Zarkaï n'ont pas.

Le front fuyant et les arcades sourcilières prononcées, il sourit tel un prédateur devant sa proie fragile. Ses cheveux roux sont attachés en fines tresses, parsemés de plumes de corbeaux et de lagopèdes. Des coquillages en pendeloques, ses vêtements - une pelisse rouge ! - attirent immanquablement mon attention. Le prestige et le charisme de cet esprit me percute de plein fouet, comme si je recevais sur le crâne un coup de poing.

Pendant un instant, je ne prononce pas une parole. Je l'observe intensément, notant tous les détails de sa tenue, de sa posture décontractée. Il porte un poignard en silex à la ceinture, et les perles d'ivoire décorent les poignets et les chevilles de ses vêtements.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant