26 - Les morts-qui-marchent (2/2)

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Le lendemain, Oko a le visage gris par manque de sommeil. Je prépare le repas du matin, lui souris tendrement. La nuit passée avec Qahim m'a offert une force nouvelle à laquelle je me raccroche, à laquelle je me cramponne. Il me salue, triste.

« Je vais rejoindre Krania, annonce-t-il. Maintenant que tu as vu la Femme-Lune, je... Je préfère rester à ses côtés et l'accompagner chez nous. »

J'acquiesce. Je le comprends.

« Tu as raison, dis-je. Elle a besoin de toi, et toi tu as besoin d'elle.

— Ce n'est pas que ça. »

Il s'accroupit au-dessus des flammes, les mains tendues vers elles. L'intensité de son expression faciale prouve la grande pensée qu'il s'apprête à me livrer.

« Ce n'est pas que Krania. »

Oko s'interrompt. Qahim sort de la tente, Mumbaÿ sur ses talons, joueuse. Il nous jette un regard et s'éloigne vers les bois pour se soulager.

« Les dévorâmes, la géante..., tremble le chasseur. Je... J'ai peur de mourir et de ne pas pouvoir faire de Krania la femme de mon foyer. »

Je ne veux pas l'avouer, mais ses mots me blessent plus que de raison. Oui, Oko est mon ami et il m'a fait la promesse de m'accompagner dans mon voyage. Ne vient-il pas de le faire ? De combattre des corps putrides ? De lutter de toutes ses forces et de m'attendre avec Qahim sans savoir si j'allais revenir ? Je ne peux pas le retenir, le forcer de faire quelque chose qu'il ne veut pas faire. Je hoche la tête, la gorge serrée par mes émotions.

« Certaines choses n'appartiennent qu'aux sorciers, j'imagine. »

Je pense ce que je viens de dire, je m'en rends compte.

« Ne te fais pas de bile, Oko ! Je comprends ton choix, et je te remercie d'avoir marché si loin des tiens. Tu as fait bien plus que la plupart de mon Clan. Tu as ouvert ton cœur, tu es mon ami, sans doute l'un de mes plus chers. Tu peux rejoindre Krania et les tiens sans avoir de culpabilité. Qahim et moi t'accompagnons.

— Nous marchons encore ensemble, dans ce cas, intervient le voyageur. Ah, de l'infusion ! Merci, Sigur. »

Il se sert un gobelet et savoure la boisson chaude, les yeux encore embués de notre sommeil agité. Qahim fait un clin d'œil complice, embrasant mes joues.

***

Notre chemin nous emmène encore au nord, avant que nous ne puissions faire un détour enfin vers l'ouest, en direction des Mammöts, et ainsi des Céruléens. Mon cœur s'emballe, car le cœur de Fran demeure muet.

Impénétrable.

J'ai beau coller mon oreille, méditer, fermer les yeux et vider mon esprit, je n'entends que mon propre cœur, ma respiration, et l'immobilité d'Oko et Qahim à mes côtés. Je persiste, têtu.

Le matin du quatrième jour, nous parvenons enfin en vue du village des Mammöts. De nouveau, Qahim reste avec moi, car le chef de ce peuple n'apprécie guère que je sois un esprit-mêlé. Je réalise que je ne ressens rien à l'endroit habituel du rejet ; j'ai grandi sur la question, et respecte sa décision. Je gonfle ma poitrine de fierté avant d'observer la nuée d'oiseaux tourner dans le ciel avec lenteur.

Des corbeaux.

Le village, calme en apparence, s'anime avec brusquerie ; les gens se mettent à courir, les cris à résonner ; dans le ciel, les macabres volatiles croassent.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant