13 - L'Esprit de l'Ours (1/2)

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Le jour décline. Enfermé dans mon abri, je taille consciencieusement de nouvelles pointes en silex, dans l'optique de fabriquer des couteaux, sagaies, pour la belle saison. Mes réserves continuent de descendre, mais je me retiens parfois de manger durant une journée ou deux, mais suffisamment pour m'affaiblir. Je maigris, ce que j'observe et, quelques matins, j'affronte le froid piquant pour chasser.

Mais je reviens bredouille, et le loup noir ne m'accompagne pas toujours. Lui aussi, doit se terrer quelque part, à l'abri du vent et des congères.

La neige revient, terminant de geler ma motivation. Un morceau de cuir sur les genoux, un percuteur mou dans une main, je taille sans relâche. Les murs de l'antre sont décorés de mes gravures.

Les tarpans galopent sur la paroi, crinières au vent et multitude, figés dans un élan de frayeurs. Derrière, j'ai figuré une meute de loups, affamés, à l'aide d'un morceau de charbon pour m'inspirer d'Amaruq. Gueules ouvertes, corps effilés, ils foncent de concert vers le troupeau dans l'espoir d'en piéger. La scène, sortie tout droit de mon imagination, restera figé dans cet instant suspendu, sans qu'aucun ne parvienne à atteindre leur but : fuir, et tuer.

Mes mains sont occupées à découper un bol dans du bois, à l'aide d'une pierre pointue, un nucléus qui n'aurait pas eu d'utilité autrement. Je pense que je vais essayer d'en polir la surface avec du sable, mais je n'en suis pas encore là pour le moment. Je préfère me concentrer sur l'ouvrage. Je réfléchis néanmoins aux gravures que je vais immortaliser sur sa surface et je me demande quel Esprit Animal je vais figurer.

Sans doute s'imposera-t-il à moi dans les jours suivants.

La saison morte est longue, éprouvante, et la solitude pèse sur moi plus lourdement que jamais. En partant de mon clan, banni comme un malpropre, je ne pensais pas subir cette absence de contacts ; or, il faut bien l'admettre, ce silence entrecoupé par les sifflements du vent et le crépitement du feu est insupportable. Souvent, pour y échapper, je fredonne de vieilles légendes que Mourgür m'a apprises il y a des lunes de cela, lorsque mon clan se baignait dans les vagues houleuses de la Mer et que nous pêchions, paisibles.

Sous les étoiles du ciel,

Elle n'a jamais été aussi gracieuse,

Sous ses lèvres rieuses,

Elle n'a jamais été aussi belle

Lojyän, de sa beauté éternelle

N'a eue de cesse de nous étourdir

Oh, Lojyän, bénie nos terres et donne-nous des ailes

Pour que nous aussi, on puisse rire

Ma voix n'a jamais été aussi belle de celle de Quärma, douce et mélodieuse comme un oiseau. Mais seul, personne pour m'écouter, je m'élance dans des vrilles audacieuses, sans spectateurs pour me juger ni m'arrêter, et je pousse les quelques vers dans le silence de ma solitude.

Danser, voler, chanter dans le firmament doré

Donne-nous de quoi nous élever ;

Il n'y a pas dans le Panthéon,

Autre que toi pour nous porter dans ton giron.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant