6 - Le clan du Silex (2/2)

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« Bienvenue au clan du Silex ! s'enthousiasme Khal, bras ouverts pour nous accueillir.

— Merci à toi, chef de clan, répond Mourgür, plus sombre qu'à l'accoutumée. Nous sommes heureux de partager un repas avec les tiens. Sigur apporte une gravure de Salgeörth, et Quärma sa soupe de poisson séché. Nous espérons que vous apprécierez nos présents !

— C'est parfait ! »

Tandis que les formules de politesse s'échangent, ponctuées de sourires et hochements de têtes, je sens mon cœur s'arrêter brusquement à la vue d'un jeune homme, sans doute de mon âge, que je reconnais dans l'instant. Nul besoin de réfléchir ou de me poser la question, je sais qui se trouve assit devant le feu central du clan, avec ses huttes solides autour.

Musclé, une chevelure d'une blondeur d'herbes des steppes, il pose sur moi des yeux flamboyants de haine, de dégoût. A ses côtés se tient sans doute un ami, roux, aux bras nus qu'il exhibe avec fierté. Ils étaient dans la clairière un peu plus tôt, mais je ne vois pas la jeune femme qui les accompagnait.

Mes agresseurs.

Mes poings se serrent sans que j'y réfléchisse, et je me mets à trembler. Par je ne sais quel miracle, je parviens à reprendre contenance et darder mon regard dans celui qui m'a insulté de Boiteux. Ma haine pour cet individu est si violente que je m'imagine déjà écraser mon poing dans son visage. Je sais, à cet instant, que je vais devoir me défendre à nouveau.

Khal le désigne du bras, et claironne de sa belle voix de chef :

« Mourgür, je te présente mon fils, Abak. Il est fort et sera à ma mort le chef du clan du Silex. A ses côtés, son cousin, fils de ma sœur, Jajobo. Ils sont inséparables. Tiens, d'ailleurs, et Zolia ? Où est ta sœur, Abak ?

— Avec son compagnon, croasse mon ennemi. Elle ne devrait pas tarder à nous rejoindre. »

Ainsi, la jeune femme qui était avec eux se nomme Zolia...

Peu à peu, mon clan se rassemble et s'installe. Brina et Zarkaï se posent avec Khal, et Mourgür me chuchote de rester près de lui.

Je n'ai de toute façon aucunement l'intention de me mêler avec les autres. Oupà et Quärma sont heureux de retrouver des amis de longues dates, tandis que Nizar et Marün se mélangent avec le reste du clan du Silex avec une facilité déconcertante.

Pour ma part, mon attention est focalisée sur Abak, quand je me demande où se trouve le Mourgür du clan du Silex.

Comme si le sorcier de mon clan devine mes pensées, il me dit :

« Elle est dans les bois, elle va revenir au bon moment. »

J'ignore ce que bon moment veut dire, mais je ne soulève rien, préférant garder les lèvres closes. Je sors de mon sac la gravure que j'ai préparé un peu plus tôt sur une plaque d'ivoire taillée par Oupà, que j'offre sans un mot au chef du clan. Khal ouvre de grands yeux, et déclare :

« Tu es doué, Sigur. »

J'ai eu l'impression que mon nom a écorché sa bouche, que les deux syllabes ont été difficiles à formuler. Mes genoux craquent quand je m'assois avec Mourgür, impassible. Je respire lentement pour juguler ma rage qui bouillonne, espérant éviter un scandale avec le clan du Silex.

La tribu est composée de treize clans, que je ne connais pas tous. Nous sommes celui de la Steppes, nous avons celui du Lynx, du Corbeau, de l'Ocre ou encore de l'Obsidienne que nous avons croisé plus tôt sur notre chemin. A ce souvenir, un frisson désagréable parcourt mon échine.

« Merci, Khal, chef de clan, dis-je.

— Je vais le donner à notre Mourgür, elle saura en apprécier l'art et la finesse, fait-il savoir. Merci encore. »

Bien heureusement, le silence qui suit sa tirade est vite rompu par Zarkaï, pour annoncer la bonne nouvelle : la grossesse de Brina, et en quelques secondes l'effusion gagne les deux clans. La venue d'un petit esprit, qui grandit dans le ventre de la compagne de Zarkaï, est une excellente nouvelle. Khal est enchanté pour son amie de longue date, et déclare qu'une chasse aura lieu, une chasse grandiose qu'il souhaite organiser au plus tôt. Oupà s'empresse de proposer ses services pour la préparer avec ses sagaies, et Louh, leur tailleur de pierre, rajoute :

« J'ai de superbes silex, que j'ai récupéré sur notre chemin. Il y a une clairière splendide, en bord de rivière, avec de beaux nucléus, Oupà du clan des Steppes. Nous allons armer nos chasseurs des plus belles flèches et sagaies de la tribu !

— Avec plaisir ! Je sens que je veux aller voir cet endroit. Est-ce loin, Louh du clan du Silex ?

— A presque une demi-journée seulement, répond son vis-à-vis.

— Dès la fin du repas, je veux bien tenter d'y aller, dans ce cas.

— Allons-y demain, plutôt. Jaröu a préparé ses galettes de céréales et un magnifique ragoût de rhinocéros. Nous l'avons chassé durant des jours et des jours ! Si Khal n'était pas aussi entêté, nous aurions mangé des ragondins.

— Ou de l'écorce d'arbre. » ricane Abak.

Khal m'observe avec attention, de la tête aux pieds, la main tenant sa barbe. Il note tour à tour ma grande taille, ma maigreur face à son fils par exemple. Évidemment, il remarque ma jambe droite, faible, qui ne parvient pas à soutenir mon poids. Puis, enfin, ma canne.

Cette même canne que son fils m'a enlevé des mains le matin même pour se gausser avec ses camarades chasseurs.

« Tu ne peux pas chasser, renifle le chef. Si un aurochs venait à te charger, tu te ferais piétiner.

— Il sait utiliser une fronde, intervient Nizar. Il restera avec moi. »

Obliger mon ami à m'accompagner enlève à Nizar toutes ses chances de se démarquer et de gagner en honneurs. Me garder à ses côtés équivaut à renoncer à la gloire d'une chasse réussie et de se garantir l'absence de récompense, voire peut-être d'une compagne.

Et nous avons besoin que cette chasse soit glorieuse, sanglante et nourrissante. Si nous revenons bredouilles ou, pire, si nous perdons un chasseur, alors la grossesse de Brina sera entachée d'un mauvais présage.

Je le remercie néanmoins d'un sourire, puis tout est organisé.

Oupà et Louh feront les armes et l'inventaire. Mourgür doit se retirer avec la Mougüria afin d'appeler les animaux et savoir quelles bêtes il nous faudra tuer.

La sorcière du clan du Silex, une femme austère et maigre comme une brindille d'été, en profite pour arriver. Elle acquiesce discrètement tout en s'installant avec une grâce féline autour du feu. Elle se saisit d'un bol et d'un peu de soupe de poisson, le visage impassible. Je n'ai guère le choix, dès lors, que de les aider à rejoindre les esprits et elle m'offre un sourire quand Khal lui donne mon présent.

« Très beau, Sigur, apprenti de Mourgür, dit-elle. Je vois que tu sais capturer l'essence des dieux. »

Je la remercie de sa gentillesse, et quelques minutes plus tard, Khal annonce la fin du repas.

Nous sommes repus, et Nizar semble au comble de la joie. Lui qui n'avait alors eu guère de contacts avec d'autres membres des clans, il va pouvoir participer à une grande chasse ! Et j'ai la désagréable sensation d'être son poids mort, comme si ma simple présence était pareille à des poches remplies de pierres.

« Tu vas voir qu'à nous deux, on va rendre le clan fier ! » s'enthousiasme Nizar.

J'ai envie de le croire.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant