Interlude I

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La Première-Née observe, elle qui se voile et se dévoile chaque cycle, du haut de son magnifique perchoir des cieux, ce monde qui se construit et se déconstruit.

Elle a vu, elle a entendu, du premier Homme au dernier mammouth laineux, ce monde qui est le nôtre. Des Âges Premiers aux Âges Anciens, les Hommes ont foulé ce monde que le Créateur, l'Ensemenceur, a contribué à rendre vivant et beau, pour que les chants de la vie puissent rejoindre les étoiles et la Première-Née, la Femme-Lune.

Mais bientôt, l'horreur est venue de celui qui n'a pu mourir. De son nom oublié de tous, elle le murmure du haut de son promontoire. Elle a pleuré, tant sa tristesse est terrible. Elle a crié, tant elle a ressenti sa détresse de voir ceux qui partent et d'être celui qui reste.

Mais un jour, enfin, ses pleurs sont entendus par les dieux qui courent la surface du monde. Lojyän a levé les yeux, l'Oursonne de la Fécondité, Mère de Tous, et sa voix larmoyante a rejoint la sienne.

« Oui ! Tu as raison, Première-Née, toi qui vois tout et qui est témoin des erreurs et des réussites. Il a été stupide d'offrir un cadeau pareil.

— Il faut l'aider, sanglote la Première-Née, sinon qui sommes-nous ? Pourquoi avoir tant de pouvoirs pour ne rien en faire ? »

Les deux déités pleurent ensemble, priant l'Ensemenceur du Monde de réagir. Rondar, dieu du Tonnerre et du Blizzard, souffle et ronfle son accord.

« Oui ! Oui, il faut l'aider à mourir. Mais son cœur, regardez-le, comme il est noir et muet, désormais, d'avoir tant aimé et d'avoir tant perdu. Il est sourd, aussi à nos larmes de regrets. »

Il dit la vérité, la Première-Née le sait. Alors que faire, dans ce cas, à part être témoin d'un Esprit qui ne trouve nul repos, à errer entre les Mondes ? Il voyage entre celui des Hommes et celui des Esprits, sans trouver le repos dont il a tant besoin, pour enfin sécher ses larmes et apaiser son cœur, devenu si dur qu'il ressemble à un galet.

« Peut-être devrions-nous lui offrir un dernier amour, murmure enfin Salgeörth, Dieu Créateur, l'Ensemenceur du monde. Ainsi, peut-être trouvera-t-il le repos.

— Et après ? tempête Rondar en roulant ses flocons sous ses grands nuages blancs.

— Je suis la Première-Née, il m'a confié dans ses larmes son cœur, avoue la femme bleue, perchée dans le ciel infini des nuits et des jours. Comment lui offrir un dernier amour ? N'a-t-il pas eu des enfants, des petits-enfants, qui aujourd'hui courent sur la surface du dos de Janah, la Déesse Terre ? »

Les dieux se taisent, et réfléchissent. Salgeörth barine de nouveau, lissant ses défenses de ses mains gigantesques. Ils flottent au-dessus du Monde des Hommes, à la limite de celui des Esprits, invisibles puissances.

« J'ai offert la vie éternelle à un homme bon, j'ai créé un monstre. Cette erreur est mienne, Première-Née, aussi vais-je moi-même créer une solution. »

Ainsi les dieux se mirent-ils d'accord.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant