11 - Solitude (1/2)

30 8 3
                                    


Ma pelisse me tient chaud la journée, mais rapidement, le soir vient.

Et avec le soir, le froid.

L'été est doux, mais la nuit reste une épreuve. Je n'ai que de maigres possessions, et j'allume un feu en espérant qu'il m'aidera à garder les prédateurs en respect. J'ai ramassé du bois sec que je garde à proximité, et je m'enroule dans une fourrure que j'ai gardé dans mon sac. Trop petite, elle ne couvre que mes épaules, mais je m'en contente.

Khal m'a dit que le clan des Céruléens se trouve au Nord, mais encore faut-il que je les trouve. Les terres sont vastes, et peu peuplées. L'Assemblée est le seul moment de l'année où plusieurs clans se réunissent.

Plongé dans ma solitude, je songe à mon bannissement, aux étreintes avec Nizar, et je sombre dans une étrange mélancolie ; je ne ferme pas l'œil de la nuit. Lorsque le soleil revient, je suis transit, j'ai faim, et ma gorge est sèche. Je reprends la marche, ma canne fermement en main.

Je saisis ma fronde, cadeau de Nizar, pour essayer de chasser. Cette seule idée, de nouveau, comprime mon estomac. J'ai bien trouvé quelques carottes sauvages et des oignons, mais j'ai besoin aussi de manger de la viande si je ne veux pas m'affaiblir. Si seulement j'étais au bord de la Mer ! Là-bas, je peux ramasser des coquillages, ou même un crabe, et manger à satiété. Mais la forêt continue, le relief se creuse et j'avance aussi vite que je le peux.

Khal m'a parlé d'une femme d'esprit-mêlé, Oceyäne, une Mourgür de son peuple. Je pense à elle en marchant, espérant la trouver rapidement. Or, quand la journée est bien entamée, je retombe sur mes fesses.

La soif est très forte. Je rejoins le fond de la vallée, vers une rivière, où je plonge la tête dedans pour me désaltérer. Au loin, la taïga reprend ses droits et les antilopes saïga s'éparpillent en me voyant arriver.

Elles sont trop rapides pour moi, et ma fronde trop faible pour que j'en tue une.

Le terrain se modifie, se creuse. Je décide de suivre les méandres boueux de la rivière, pour me garantir un peu d'eau. Elle s'écoule du nord au sud, aussi ai-je un peu de chance dans mon impossible malheur.

Je reste alerte, fais quelques pauses pour ménager ma jambe. Un peu plus tard dans l'après-midi, j'entends du mouvement sur la berge et je vise avec ma fronde.

La pierre fuse.

PAF !

Le pauvre lièvre n'a pas eu le temps de voir ce qu'il lui arrive, et meurt sous le coup. La pierre a si durement frappé son crâne qu'il en tremble encore, et de mon couteau de silex, je tranche sa gorge d'un geste mal assuré.

Ma première prise. Je devrais sautiller de joie, me répandre en riant, mais je ne peux que trembler de la tête aux pieds. Je saisis ma proie, l'attache à ma ceinture par un lien de cuir, et je reprends ma marche.

Je vais devoir trouver un endroit où dormir, monter un camp. Je ne peux pas franchir de trop longues distances au risque de dépérir sous la fatigue. Ma canne est rassurante, mais avant que le soir ne tombe, je découvre un paysage splendide, à couper le souffle.

Renversant.

La rivière continue de s'écouler, passive et calme. Elle renvoie les lumières du coucher de soleil en une kyrielle d'éclats orangés. La steppe, calme, se balance sous le gré du vent du soir, véritable houle dansante de hautes herbes jaunies par la chaleur de l'été. A loin, les falaises se creusent, formant un panorama autant déchiqueté par les forces de la nature que majestueux, coiffé ici et là de bois épars. Des oiseaux volent en forme de flèche, des oies, qui vont sans doute nicher dans le creux d'un cours d'eau. Je les observe, le cœur enfin apaisé.

Mon clan derrière moi, Brina, Zarkaï, Mourgür, Nizar... Je laisse mon passé, il s'efface, se fait moins prégnant. Je parviens enfin à respirer, maintenant que je sais ne plus pouvoir revenir sur mes pas.

Mon avenir est devant.

∙∙∙

J'atteindrai les falaises demain, un peu après l'aube. Pour le moment, je me suis installée sur les berges de la rivière, un bon feu ronfle sur les galets, et je fais cuire mon lièvre avec quelques feuilles d'épinards et des racines de chardons braisés. Mes carottes cuisent dans la graisse de ma chasse, avec les deux petits oignons qui chantent dans l'air nocturne.

Je vais manger à ma faim. Tandis que j'étanche ma soif d'une rasade, j'observe les étoiles, pensif.

Nizar.

Je reste encore étonné de sa passion, du contact de ses lèvres contre les miennes et du désir ardent qui a, le temps de quelques battements de cœur, fait briller ses yeux clairs. Je chéris cet instant, gardant en moi le souvenir d'une amitié merveilleuse détruite par le coup du destin.

Myha payera sa dette envers moi, j'en fais le serment.

∙∙∙

Le feu s'est éteint. Quand j'ouvre les yeux, j'entends les jappements excités des hyènes, ces gloussements aigus terrifiants ; mes poils se hérissent, je me redresse sur les restes de mon repas, et je saisis ma canne.

La lune est gibbeuse, dispensant une lumière bleutée sur les alentours. Là, de l'autre côté de la rivière, un groupe d'hyènes jappent, le museau tendu en l'air, comme pour humer mon parfum. La terreur me happe, glisse ses griffes glacées dans mon ventre. Je n'ai pas le droit à l'erreur. Vif, parfaitement réveillé, j'arme ma fronde qui siffle en tournant.

Elles sont trop loin pour que je puisse viser correctement, mais le jet est si puissant qu'en rebondissant, l'une d'elle prend peur et saute pour éviter le projectile. La curiosité est plus fort que la peur cependant, et je dois m'armer à nouveau.

La fronde tournoie, tournoie, prend de la vitesse, je vise.

La pierre file.

Le choc est si fort, que je l'entends atteindre ma cible en plein torse. Le son est mat, étouffé par le pelage mais l'animal pousse un cri de douleur. Je glisse une nouvelle pierre, la rive en est plein. Les hyènes finissent par battre en retraite, et je suis pantelant, essoufflé.

Impossible pour moi de dormir à nouveau. Je ranime mon feu de quelques branches, je croise les bras sur mes genoux ramenés contre ma poitrine, et j'attends l'aube.

∙∙∙

L'humidité est terrible.

Elle s'insinue dans les couches de mes vêtements. Deux jours de marche plus tard, toujours plus au nord, et rien. La pluie fine tombe sans relâche, inondant les vallons et m'obligeant à grimper dans les reliefs des collines escarpées.

Pas de traces d'occupations. Pas d'anciennes huttes, ou de foyers, rien pour m'indiquer la direction à prendre. Les Céruléens sont invisibles.

Je commence à désespérer quand je déniche un abri-rocheux, dont le sol a été tassé par de nombreux passages humains ; ici, un mur de branchage, en piteux état, a servi pour se protéger du vent. Je dépose mes affaires, et décide de restaurer l'endroit. Je n'ai rien à perdre et j'ai tout le temps du monde.

Parfois, je pense à Nizar, et je prie les dieux pour qu'il ne tombe pas malade. Je prie aussi Lojyän pour l'enfant de Brina et de Zarkaï, pour Mourgür aussi.

Mes réparations commencent dès le crépuscule. Je ramasse du bois pour le feu, que j'allume, puis je prends conscience de mes outils primitifs. Il me faut une hache, même grossière, pour découper de plus grandes branches. Je m'attèle à la tâche.

Le nez dans le sol, je fouille pour trouver une pierre assez ronde pour en faire une lame épaisse. Quand je la trouve, je colle mon oreille dessus, comme Oupà le fait souvent.

Penser au maître tailleur de pierres me tire une grimace, mais je l'ignore et commence mon œuvre. Lorsqu'il se fait tard, je me couche sans oublier cette fois d'alimenter les flammes, ma fronde armée d'une pierre à portée de main.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant