5 - Petit esprit (2/2)

28 11 7
                                    



La nuit, je suis resté dans la hutte du shaman de mon clan. Je n'ai pas voulu sortir, tétanisé à l'idée de me retrouver debout avec d'autres personnes, malgré le festin et les bruits de fêtes et la musique des flûtes jusque tard. Nizar a bien essayé de m'encourager, à force d'arguments et de propos gentils, mais je n'ai pas pu me résoudre. Au réveil, les mines sont grises, les mots sont rares.

Je prépare la nourriture et l'infusion du clan, dans des gestes transpirants l'habitude, quand un homme d'un clan inconnu vient à notre rencontre.

« Je me nomme Khal, dit-il en regardant Mourgür, puis moi. Je suis le chef de clan du Silex. Toi, qui es-tu ? »

Il me désigne du doigt et je me ratatine.

« Il est Sigur, fils de Mourgür du clan des Steppes, intervient vaillamment Nizar. Il est aussi mon ami, et futur Mourgür de mon clan. Et toi, Khal, que viens-tu faire à pointer des gens du doigt au réveil ? »

Oupà blêmit, Zarkaï étouffe un rire nerveux et Brina ricane.

« Il vient faire son beau, à se pavaner ! s'écrie ma mère de lait. Ah, Khal, je suis heureuse de te revoir. Viens donc boire une infusion avec nous. J'ai une grande nouvelle à annoncer aujourd'hui. Mais avant, que me vaux ta visite ?

— Je me demandais si tu étais toujours dans le clan du vieux sorcier, déclare Khal en commençant à rire. Pardon, petit, je ne te connais pas, et ton visage est étrange...

— Esprit-mêlé, dis-je. Je suis l'apprenti de mon Mourgür, et son fils adoptif. »

Le sorcier acquiesce, mal réveillé, et s'installe en tailleur à mes côtés.

« Nous allons le présenter à la Mourgüria bientôt, fait-il savoir. Je ne savais pas que le chef du clan du Silex connaissait Brina, du clan des Steppes.

— Nous nous sommes connus longtemps, quand elle était encore de mon clan ! Bien le jour, Zarkaï. »

Le chasseur grogna en guise de salut, peu amène face à cet homme si charmant physiquement. Pour ma part, je le déteste. Dès sa première intervention, je ne peux pas le supporter ; je me contente donc de poursuivre la préparation de l'infusion, et je regrette de ne pas avoir assez de camomille pour me calmer les nerfs. Je me promets donc d'en cueillir dès que possible et en faire sécher pour renouveler les provisions de Mourgür.

Les nuages, ce matin, se sont massés dans le ciel en une masse cotonneuse, s'écrasant sur la falaise où nous avons élu notre domicile pour une saison. Des odeurs de nourriture flottent dans l'air, comme autant d'invitation pour les estomacs d'essuyer les excès de boisson fermenté de la veille. Je sers tout le monde, avec attention, puis vient le tour de Khal.

Il me regard avec curiosité, sans se gêner.

« Pas la peine de me dévisager de la sorte, je gronde.

— Je n'ai jamais rencontré d'esprit-mêlé avant toi, avoue-t-il sans préambule, désolé. C'est impoli, c'est vrai. Sigur, c'est ça ? »

J'acquiesce.

« Puisses-tu fouler le monde de Salgeörth aussi longtemps que possible. »

Brina sirote son infusion et pousse un soupir de satisfaction, de même que pour notre invité installé près de Oupà et Quärma.

« Délicieux, Sigur, chuchote-t-elle. C'est sucré et doux.

— De la réglisse, dis-je dans un sourire.

— Bonne idée, soulève le Mourgür. Bien joué. »

Nous bavardons encore quelques minutes, politesses de rigueur, puis Brina déclare :

« J'ai une bonne nouvelle, et je voulais attendre suffisamment longtemps avant de le faire. Comme tu le sais, Mourgür, il faut toujours attendre les trois premières lunes avant d'en être certaine, et c'est à présent le cas. »

Je me raidis, une boule dans le ventre. C'est vrai que Brina est plus rayonnante, sa poitrine s'est alourdie. Pourquoi ne m'en suis-je pas rendu compte avant ?

« J'attends un petit esprit qui grandit en moi.

— Oh, ma Brina ! C'est merveilleux ! Lojyän nous a entendu ! Louée soit la Déesse, sanglote Zarkaï. Oh, Brina ! »

Il la serre dans ses bras, et je me fais violence pour ne pas faire la même chose. Est-ce que ça veut dire que j'aurai un petit frère ou une petite sœur, même si Brina n'est pas ma vraie mère ? Je sens mes yeux s'embuer de larmes de joie, quand Mourgür annonce :

« Organisons une chasse pour lui porter chance ! Je vais m'enquérir auprès de la Mourgüria pour se faire et... Sigur ? Tiens-toi prêt pour ce soir. »

Il se met à tousser, avant de reprendre sa respiration.

« Et prépare-moi une infusion pour la gorge... »

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant