29 - Le Murmure du Cœur (1/2)

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Les dévorâmes ne semblent pas désireux de nous suivre en ces lieux. Dum. Dum. Le tambour au loin retentit, régulier. Il me fait penser à un cœur qui bat, se calme, reprend, accélère de manière erratique. Je marche en reprenant mon souffle. Amaruq halète. Il mordille mes doigts, heureux de me retrouver. Je le caresse, l'embrasse. Je suis heureux de l'avoir avec moi, même si c'est pour mourir.

La caverne est large, le sol sec. Mes pieds accrochent sur la surface dure et rêche. Nous traversons des salles, des boyaux, nous nous faufilons dans des couleurs étroits avant de découvrir d'autres panneaux d'arts ; ici, des lions en pleine chasse. Là, un cerf qui embrasse un autre. Enfin, des tarpans, des antilopes, des chamois dans des scènes toujours plus réalistes. Je m'extasie devant la beauté de ces œuvres, me demandant qui a bien pu les peindre. Est-ce quelqu'un du Monde des Esprits ou est-ce un artiste du Monde des Hommes ? La question restera je pense sans réponse, et sans doute est-ce mieux ainsi.

Certaines questions doivent demeurer muettes.

Notre cheminement nous mène dans une succession de salles toutes plus belles les unes que les autres, aux dimensions différentes à chaque fois, aux concrétions magnifiques et aux formes sensuelles. L'une d'entre elles me fige pendant un long moment, car elle n'est cette fois-ci pas d'origine naturelle, mais humaine.

Des stalagmites ont été brisées et rassemblées en une multitude de cercles, dans lesquels brûlent des feux sans fumées. Les os peuvent fournir un feu constant, qui repoussent les ténèbres et magnifient le crâne d'ours posé sur le rocher plat, dont les ombres dansent et raniment ses contours. Sa peau a été déposée tout autour, offrant l'impression qu'il est couché là, à attendre quelque chose.

Le tambour continue de résonner entre les cavités rocheuses, marquant le pas. Amaruq prend la tête de notre marche et je le suis au travers des galeries, mais son sombre pelage le camoufle au milieu de toute cette obscurité ; je presse mon allure.

Nous tombons dans une dernière salle, la plus grande, mais aussi la plus lumineuse de toutes par ses peintures sublimes. Toute la surface est utilisée, que ce soit par ces formes, ses courbures, ses ombres ou le sommet, en une galerie de beauté de couleurs. L'ocre rouge tutoie le jaune, le noir, ainsi que le bleu, couleur inhabituelle en de tel lieu. Je me demande comment l'artiste a fait pour obtenir une couleur pareille. Les gravures sont aussi très présentes, ou juste des tracés énigmatiques avec le doigt dans de l'argile autrefois humide, ou bien à l'aide d'un outil dur et pointu pour dessiner les contours d'un mammouth laineux.

Peut-être ces images racontent-elles une histoire, je ne peux le dire avec certitude. En revanche, je suis admiratif du travail des artistes. À évoluer ici, j'en oublie presque que des dévorâmes m'ont pourchassé, que Fran n'est pas loin, avant de réaliser que je suis seul.

Les dieux ne sont pas là.

J'ai beau crier, hurler, les appeler, seuls les échos de ma voix éraillée me répond. Amaruq donne de sa voix, museau levé, dans l'espoir de m'aider à nous faire entendre dans ce Monde.

Cela ne donne rien.

Le tambour s'est arrêté. Le silence qui suit me glace d'angoisse. Je sors le cœur de Fran de ma besace, le tenant entre mes paumes tremblantes.

« Que suis-je censé faire ? » je demande à haute voix.

Personne ne me répond. Pourquoi la Première-Née m'a-t-elle révélée tout ces secrets pour ensuite me laisser dans cette situation ? Pourquoi Lojyän a-t-elle décidée d'intervenir pour faire de moi le boiteux ? Pourquoi m'avoir investi d'une si grande mission, alors que je suis désormais prisonnier du Monde des Esprits, incapable d'entendre le moindre murmure, le moindre chuchotis de la pierre que je tiens ?

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant