12 - Loup (2/2)

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Le loup ne revient pas.

Ce constat, qui doit normalement me tranquilliser, plante en moi une inquiétude que je ne m'explique pas.

Les lamelles de viandes sont entreposées dans mes paniers de joncs tressés, et je me rends compte qu'il va falloir que j'en cueille encore pour tout ranger. Heureusement, le repas de viande fraîche la veille, cuite directement sur les braises avec une bouillie de céréales relevés d'un peu de menthe me laisse somnolent, heureux de sentir mon ventre rebondi.

Mon petit trou dans la roche déborde de nourriture, que je contemple avec satisfaction. La graisse est dans des boyaux roulés en boudin, le cuir sèche encore, et je vais devoir le râcler bientôt avec un silex.

La taille m'attend.

Soudain, je songe que pour passer la saison morte, je vais devoir avoir de quoi m'occuper les mains, mais aussi l'esprit, et pour ce faire, je m'en vais explorer les alentours avec plus d'attention. Je prends avec moi mon sac à bandoulière, mon couteau de silex, ma canne et une sagaie que je coince dans ma ceinture, pointe en os vers le bas. J'admire la construction fine de l'outil, plus fine que les nôtres, avant de prendre la direction de l'Ouest.

Je traverse à pieds la rivière, effraie un peu plus loin deux perdrix que je regarde courir avec affolement, avant de poursuivre, mes sens en alerte.

Après un bon moment, le soleil continue sa course dans le ciel d'un bleu si pure qu'il en est presque laiteux, un voile nuageux rendant la lumière brute et blanche.

La chaleur n'est plus aussi abrutissante, et je marche loin.

La steppe est infinie, et stupide celui qui la pense morne.

Douce, galbeuse et apaisante, les courbes de son sol sont autant de merveilles pour le regard. Parfois, des rochers de calcaire en perturbe la finesse, traces d'anciens glaciers depuis longtemps disparus. Des montagnes semblent en cerner les contours, dans le lointain, coiffées d'une couronne de neige éternelle. Le vent balaie avec délicatesse les hautes herbes qui, dans les rafales occasionnelles, se transforment en véritables houles dorées. Les vagues végétales viennent tantôt s'échouer, faute de force, ou rebondissent sur les obstacles qu'elles rencontrent. Haut dans le ciel, un rapace plane silencieusement, majestueux, ailes tendues dans le vide, impassible et inatteignable.

Paix et plénitude.

∙∙∙

Je suis assis sur un rocher, haut d'environ deux grands pas, et je contemple la plaine d'un regard émerveillé. Je n'ai jamais énormément voyagé, et encore moins seul. Je peux ainsi m'enivrer de cette immensité. Les mains en coupe autour de ma bouche, je pousse un cri de joie, qui monte dans le ciel et résonne un instant. Seulement, il se perd, s'éteint, se meurt sur le bord de mes lèvres ouvertes sur un sourire béat.

Le soleil atteindra l'horizon dans pas longtemps, une largeur de main environ, et j'entreprends ma descente périlleuse quand j'interromps mon mouvement.

Un loup me répond.

D'un appel long, lancinant, presque douloureux et mon cœur se met à battre plus vite, plus fort. Je me sens soudainement vivant et palpitant. J'attends que le hurlement s'éteigne, puis je lance à mon tour à cri grave, semblable au sien. Nous nous répondons ainsi jusqu'à ce que nos deux voix se fondent ensemble, s'entrelacent, et ne fassent plus qu'une.

« Ahouuuuu, je hurle à pleins poumons, ahouuuu ! »

Le vent fait chanter les herbes, dans ce doux froissement des épis de blés et d'orge. Je saute maladroitement de mon perchoir, récupère sac et canne, pour aller en récolter un peu, vigilant. Le loup peut survenir n'importe quand et, camouflé dans les herbes, je ne pourrai le voir qu'à l'ultime seconde.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant